Par Eric de NATTES

Matthieu, 14, 12-16, 22-26

‘’Nous sommes le corps du Christ, chacun de nous est un membre de ce corps’’ : je pense au corps du nourrisson allaité par sa mère, tenu tendrement dans les bras, enveloppé ; celui des fiancés, resplendissant dans la joie du don amoureux ; celui de la personne âgée, où les marques de la vie qui s’est donnée, le creusent… Et je fais mémoire du soin que toi, Seigneur Jésus, tu as toujours apporté au corps : surdité, cécité, paralysie, maladie contaminante, emprise psychologique qui se somatise… alors en ce jour de la fête de ton corps et de sang Seigneur, je te prie Seigneur pour que chacun de nous aime son corps et celui du prochain, il est le temple vivant de ta présence.

Des paroles très sobres au moment de leur partager le pain et la coupe : ‘’Prenez, ceci est mon corps. Ceci est mon sang, le sang de l’alliance versé pour la multitude.’’  Car ne nous y trompons pas, faisant ainsi, Jésus accomplit et dépasse désormais tous les sacrifices. Dieu n’est pas un Moloch qui se nourrit de la chair et du sang de ses enfants. Ce sont les hommes qui versent le sang en sacrifice. Ce sont eux les Moloch. Dieu s’offre par amour jusqu’au bout. La Croix est l’ostensoir de la violence des hommes et du pacifisme radical de Dieu. Le sang n’appelle pas le sang de la vengeance. Il faut en finir et rompre ce cercle du mal.

Mais voilà pourquoi ce ‘mystère est grand’ ainsi que nous allons le chanter dans quelques instants. Car d’un côté, je bois à la coupe du Royaume, de l’amour, celle de la joie des noces et de l’alliance avec mon Dieu : Il vient faire corps avec moi et se donne jusqu’à verser sa vie en moi. Mais de l’autre côté, je sais que je participe à cette violence de l’homme qui sacrifie le sang de la vie. Je ne voudrais que la joie du don d’amour et je découvre qu’il est aussi douleur et sacrifice : ‘’Père, éloigne de moi cette coupe.’’ Je te loue Seigneur pour la coupe de la joie du don dans l’amour et le te prie pour me donner la force du don quand l’amour se fait sacrifice.

Dans l’eucharistie, Jésus fera confiance à ses disciples par-delà sa propre condamnation à morts : un le trahira, l’autre le reniera, les autres s’enfuiront : le tableau n’est pas reluisant si l’on en reste à la Passion. Quelle foi (confiance) il faut pour se projeter par-delà l’instant présent de la misère de ses disciples pour voir en eux leur capacité à comprendre, apprendre, recueillir et se convertir à ce qui vient de leur être dévoilé pour devenir enfin missionnaire de l’évangile cette fois pleinement entendu. En cet instant, c’est tout son avenir, si je puis dire, celui de ses paroles, de ses enseignements, de ses actes, qui est contenu dans les vases d’argile, percés, fêlés, que sont ses disciples ! Oui, quelle foi ! L’Esprit vous fera souvenir de la vérité tout-entière, vous y introduira.

Faut-il que la présence nous ait été prise, enlevée pour qu’elle puisse enfin être entendue, perçue dans toute son étendue ? Sinon, on est dans le confort de l’évidence, donc de ce qui n’a pas à se chercher puisque c’est là, donné chaque jour, à disposition ! Le jeûne eucharistique imposé par la pandémie a fait réfléchir bien des croyants à ce qu’étaient pour eux les médiations par lesquelles la présence du Christ leur était donnée au lieu de la vivre dans l’évidence confortable, ou inconfortable d’ailleurs, d’un rendez-vous rituel.