Marc 1, 40-45

Par Eric de NATTES

Guérison du lépreux

Une rencontre qui sauve. Tout à coup, plus aucune mention de lieux ni de présence de témoins. Un face à face, intime. Une rencontre, une vraie. La demande du lépreux est étonnante, elle énonce comme un mode opératoire. ‘’Si tu le veux, tu peux…’’ Il faut que le processus commence en toi : ‘’si tu le veux…’’ sinon, rien ne pourra advenir pour moi. C’est en toi que ma guérison commence, c’est en ton regard sur moi que tout peut renaître. Et l’on nous dit que Jésus est ‘’saisi de compassion’’, expression très forte de celui qui est remué jusqu’aux entrailles par la détresse de l’autre. Il y a là dans la Bible un trait du divin et de l’humanité créé à l’image de Dieu : l’autre n’est pas enfermé en lui-même, il peut souffrir de ma souffrance. Une vraie relation, induit ce transfert entre deux être humains créés à l’image de Dieu. Mais attention, plus d’humains que nous pouvons le penser ne vivent pas ce transfert, ne ressentent rien. Ils sont comme amputés de cette part qui me permet de ressentir ce que l’autre ressent, une intelligence du cœur. Là, il faut savoir se protéger car il y a là grand danger devant ces humains-là !

Comme la fièvre avait quitté la belle-mère de Simon alors que Jésus l’avait prise par la main, la lèpre quitte cet homme. Cette lèpre n’est pas lui, même si elle lui collait à la peau. Désormais, il n’est plus un lépreux, il a eu la lèpre. Un homme l’a touché, parce que cet homme a été touché par sa misère, il a transgressé l’interdit et n’a pas eu peur de sa demande, un homme a voulu qu’il soit purifié. Si un homme l’a voulu, alors d’autres doivent le vouloir et le pouvoir eux aussi.

Et moi, et chacun de nous ? Est-ce que je vis encore des rencontres en vérité ? Où est-ce que je me contente de relations sans enjeux. Y a-t-il eu des rencontres qui m’ont déplacé, qui m’ont fait bouger et qui ont déplacé l’autre. Ai-je croisé et me suis-je laissé abuser par ces être qui peuvent avoir de belles paroles mais dont on s’aperçoit trop tard qu’il n’y pas de relation possible avec eux. En ai-je souffert ? En ai-je tiré les leçons ?

L’étrange rapport à la loi. Le lépreux et Jésus transgressent clairement la loi qui nous a été rappelée dans la lecture du livre des Lévites. On peut y voir des accents pauliniens, dans cette transgression. La loi ne nous sauve pas. Elle indique, mais elle ne relève pas, ne guérit pas, seule la grâce peut le faire, le don. Mais attention, Si la loi formelle est transgressée puisque les deux s’approchent et même se touchent, Jésus renvoie fermement l’homme purifié à la loi. ‘’Va te montrer au prêtre et donne ce qui est prévu.’’ Car la loi exprime le collectif. Si la rencontre sauve, la loi réintroduit dans la collectivité. Que de réflexions en cours dans notre Église, notamment avec Amoris Laetitia et les parcours proposés aux divorcés remariés. Comment éviter la posture du psycho-rigide pour qui la loi est la fin de tout, et celle de l’inconséquent pour qui aucune loi ne sert à rien ? Comment sortir par exemple de la grâce faite à telle personne dans le secret – ‘’je vous invite à retourner communier’’ – mais sans que la communauté, le collectif, le sache ?’’ Non, il faut articuler les deux. La grâce est un chemin personnel, fruit d’une relation unique, la loi permet au collectif d’accueillir la grâce (tu seras pour eux un témoignage) et à la personne de ne plus se cacher, d’être accueillie par le collectif, la communauté.

Et moi, et chacun de nous, peut-il faire mémoire d’une grâce reçue qui l’a fait vivre ? Mais aussi d’un accueil par la communauté ? Ai-je rencontré malheureusement ces personnes pour qui la loi est insurmontable et qui m’ont fait terriblement souffrir ? Ai-je à l’inverse croisé ceux pour qui la loi n’est rien parce qu’au fond, ce sont eux la loi ? Et ils m’ont manipulé.

La compassion n’est pas qu’un sentiment. L’impureté qui était en l’autre devient aussi la mienne. La finale de cette scène fait réfléchir. Jésus qui a eu pitié de l’impur qui devait fuir les lieux habités, prend sur lui en quelque sorte, le sort du lépreux. Il en est désormais solidaire. Le voilà réduit à se réfugier dans les lieux déserts, à l’écart. Mais étonnamment, ce sont les gens qui viennent à lui. Comme dans la scène précédente, où la maison d’André et de Simon devenait la nouvelle synagogue, voilà que le centre de gravité s’est déplacé. C’est celui qui a osé prendre parti pour l’impur qui devient le centre, même à l’écart. La périphérie devient centre. Déplacement de Dieu, déplacement de la vie. Le centre de gravité de la vie de l’homme est dans ce changement de regard, dans ce transfert produit par la compassion. Augmente en moi Seigneur, l’humain fait à ton image et à ta ressemble. Amen

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