Matthieu 6, 1-6, 16-18

Par Eric de NATTES

Accueil : Seigneur, à l’invitation de ton prophète Joël, nous sommes venus non pas déchirer nos vêtements en de grandes indignations ostentatoires, non, nous sommes venus humblement déchirer nos cœurs. En cet instant nous portons le poids de l’épreuve présente, de celles et ceux qui la traversent dans la fragilité voire la souffrance. Nous commençons ce chemin où l’ombre de la Croix nous fait si peur. Mais nous entrevoyons la pierre roulée et la lueur jaillir de la nuit. Car Tu es le Dieu des vivants, non pas des morts. Emmène-nous au désert pour refaire alliance avec Toi. Nous chanterons autour du feu pascal ta victoire sur la mort. Pour l’heure, nous refaisons le signe de la passion et de la vie qui se donne jusqu’au bout : Au nom du Père et du Fils…

Homélie :

« Quand tu veux prier, retire-toi dans la pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret. » Père, pourquoi est-ce si difficile à autant d’entre nous, tes enfants, d’aller là… dans notre pièce la plus retirée, pour prier. Les Évangiles nous le disent à travers des images : aujourd’hui ‘’ta pièce la plus retirée’’, celle qui est en moi, en chacun ; avec la Samaritaine, c’est ‘’le puits’’ qu’il faut creuser, celui qui est en elle et où l’eau vive pourra jaillir ; mais c’est encore ‘’le désert’’, ce lieu à l’écart, aride, hors des distractions et agitations ! Pas la synagogue et la prière collective, pas non plus l’intercession en enchaînant les demandes pour ceci, cela et autre chose… non, ce lieu au plus profond de chacun de nous, et où, seuls, je peux rencontrer le Seul, l’Unique.

Les grands spirituels nous le disent, eux aussi, à travers leur langage : ‘’le château de l’âme’’ pour Thérèse d’Avila ; aller en ton ‘’propre fond’’ pour les mystiques rhénans comme Maître Eckart ou Jean Tauler. C’est là qu’est le lieu du changement véritable, de la conversion, de la découverte d’une vie plus ajustée, plus vraie, plus pleine, une vie qui devient en somme ‘’éternelle’’ comme le dit Saint Jean.

Alors quelles sont nos réticences, Père ? Je sais bien que ‘’l’autre vie’’, celle que St Jean appelle : ’’être du monde’’, nous sollicite en permanence, comme pour nous empêcher d’entrer en nous-mêmes. Et si nous y découvrions la liberté ? Bernanos disait déjà que le monde moderne se présente comme une véritable conspiration contre la vie intérieure, la vie spirituelle. Le temps aussi… Ce temps dont nous ne sommes pas avare pour nous gaver parfois de choses tellement inutiles, superficielles, et qui nous manque curieusement lorsqu’il s’agit d’entrer en nous et de faire silence peu à peu. Et pourtant, nous avons tant de témoignages incroyables de celles et ceux qui sont parvenus à y pénétrer, dans leur pièce la plus reculée. ‘’Joie, joie, pleurs de joie’’ écrira Pascal et il ajoutera que si chaque homme passait une heure en lui-même chaque jour, la face du monde changerait. Avons-nous peurs de nous-mêmes ? Craignons-Nous les changements qui s’opéreraient en nous si nous prenions ce temps chaque jour ? Quel mystère, Père, de voir des gens se passionner pour des Pokemons, d’autres se gaver de vidéos virales et si peu s’intéresser à eux-mêmes, à ce qu’ils sont, qui ils sont, ce qu’ils désirent vraiment. Pensent-ils qu’ils sont de si mauvaise compagnie, si inintéressants, qu’ils se fuient eux-mêmes ?

Et si cette première mise à l’écart, Père : ‘’se retirer dans la pièce la plus retirée…’’ – j’aime bien cette répétition – était la condition pour vivre assez logiquement les deux autres : jeûner et partager ? Car comment agir avec justesse, comment pratiquer ma religion et vivre en cohérence avec mes valeurs, comment partager en vérité ce que je suis et manquer pour me souvenir que tout est don, si je ne me connais pas sous ton regard, Père ? Tout cela sonnera faux, ou sera quelque peu forcé, sans joie, ou pire encore, fait avec suffisance, voire orgueil.

Frères et sœurs, méditant cet évangile, j’ai au fond exprimé ce dont je discerne que là est le chemin qui m’appelle. Mais c’est à chacun à faire de même, pour lui-même. De quoi ai-je besoin ? Quel appel je pressens en moi ? Si le Fils nous a promis qu’il serait présent à nous, si deux ou trois se réunissaient en son nom, il nous dit que c’est là, dans le secret, que Toi, Père, tu es présent. Lui se retirait à l’écart et les disciples le cherchaient. Prendrai-je le temps de me retirer ?

Imposition des cendres :

Lorsque tout aura été consumé au feu de ton amour, mon Dieu, que restera-t-il de moi ? Lorsque mensonges et tromperies, replis et égoïsmes, peurs et paresses, violences ou indifférences, lorsque tout cela sera devenu cendres, je me plais à croire que sous ce qui méritait d’être calciné parce c’était en vérité déjà mort, rougeoieront encore mes élans maladroits pour aimer, quelques braises qui auront tenté de réchauffer ces petits qui sont les tiens… Alors le souffle de l’Esprit, comme une brise légère, pourra raviver ce qui a été vraiment vivant en moi. Et les cendres dispersées pourront fertiliser la terre nouvelle du Royaume.

Bénis, Seigneur, ces cendres…

Télécharger l’homélie