Marc 1, 29-39

Par Eric de Nattes

Guérison de la belle-mère de Simon

Comme dimanche dernier, nous sommes encore à Capharnaüm, le jour du Sabbat, mais nous sortons de l’espace public de la synagogue, du culte officiel si l’on peut dire, pour entrer dans l’espace privé, celui de la maison des deux frères appelés au bord de lac de Galilée : André et Simon. Dans la synagogue Jésus avait enseigné et délié l’aliéné de ce qui parlait en lui, mais avec fausseté. L’action de Jésus, serviteur de la volonté du Père, va-t-elle s’interrompre ? Il n’en est rien bien sûr. D’abord parce que dans le judaïsme, si l’homme est aux commandes dans la liturgie de la synagogue, c’est la femme qui, à la maison, dans la liturgie familiale, ouvre la sabbat en allumant la chandelier à 7 branches.

Cela est déjà un enseignement qui m’interroge. La pandémie, qui nous a empêché le regroupement eucharistique, a posé de nombreuses questions à notre pratique. Et notamment, comment se fait-il que nous soyons si peu inventifs dans des liturgies domestiques ? Comment expliquer que la pratique chrétienne ce soit autant concentrée sur le culte dominicale sans les relais indispensables dans la première église dans laquelle nous vivons ou avons vécu : la famille. Comment interpréter le fait que si ce n’est pas la messe dans son entier accomplissement, alors tout rite domestique serait vide de sens, et en aucun cas, déjà, le début de l’eucharistie dans tout ce qu’elle signifie. Comment expliquer que nous ayons tant de mal à démarrer un peu partout, de petites fraternités, cellules d’églises vivantes, là où les familles vivent.  Car tel est bien le sens de ce passage, chez Marc, de la synagogue à la maison. Jésus est autant présent dans l’une que dans l’autre et son action est la même dans l’une que dans l’autre. Entendons-nous cela ? Et tout ce que cela implique pour nous tous, dans cette assemblée, prêtres, prophètes et rois, configurés au Christ de par notre baptême.

Alors, dans cette petite église domestique dans laquelle Jésus se rend, certes, si le Sabbat interdit le travail, le service, lui, ne saurait s’interrompre. Car si le travail peut attendre, la vie de l’homme, non. ‘’Je suis venu pour servir.’’  Et là, que se passe-t-il ? Eh bien ‘’on’’ parle à Jésus de la malade pour qu’il s’en approche. Que faut-il de plus pour entendre que là, dans cette familiarité, l’eucharistie est en route, approcher Jésus de celle, de celui qui en grandement besoin et qui ne peut se rendre au culte collectif. Et, miracle, c’est vers cette maison que les gens viennent pour être guéris eux-mêmes.  Pas vers la synagogue ! Là encore, que faut-il de plus à nos yeux et à nos oreilles pour voir et Entendre ce qui se joue là, dans la familiarité, la solidarité et la proximité entre la maison où Jésus est accueilli et les maisons alentours, comment c’est ici que la mission s’opère et pas d’abord dans la synagogue.

Jésus – serviteur du Père – saisit par la main la femme fiévreuse, alitée. La main, symbole de la puissance sur sa propre existence ! Prendre en main sa vie ! Main dans la main, le Serviteur, venu relever celle qui ne peut plus servir. Je m’interroge sur cette femme fiévreuse qui est au lit, incapable de servir. Avouez que l’image résonne. Lequel d’entre nous n’a pas connu ce gendre de fièvre qui rend tout service odieux, qui en fait une corvée dont on ne veut plus. L’origine de cette fièvre peut avoir tellement de causes. Un service dans lequel nous ne sommes pas reconnus. Un service qui a perdu toute saveur tant il est devenu harassant ou a perdu tout sens. Un service dans lequel nous nous sommes peut-être beaucoup trop investi ; alors nous nous en voulons et nous en voulons au monde.

« La fièvre la quitta… » comme quelque chose d’étranger à elle, à ce que cette femme est vraiment, tout comme les mots qui n’étaient pas de lui, avaient quitté l’homme aliéné dans la synagogue. Bien sûr. Car lorsque nous allons bien et que le service est ajusté, alors la ‘’diaconie’’, le service est un signe de bonne santé, signe que nous allons bien. Je le sais pour moi-même et vous le savez aussi. Lorsque je ne veux plus servir, c’est qu’un signal s’allume, que quelque chose ne va plus, qu’une fièvre s’installe dont je dois lucidement regarder l’origine. Jésus a rendu sa dignité et son bonheur à cette femme dans son service de la vie, dans la maison, dans l’église domestique. Là, elle est redevenue la reine/servante à l’image du roi/serviteur.

Je finis : il y aurait encore tant à dire sur cette page. Jésus les a quitté pour prier, seul, dans le désert. Mais cela n’intéresse pas les disciples pour le moment. Ils sont enivrés par le parfum de la ‘’success story’’, ça marche ! ‘’On vient de partout… tout le monde te cherche’’ ! Un peu comme les croyants qui se déplacent de paroisse en paroisse, là où ça marche, sans trop discerner, portés par le parfum de la réussite. On peut les comprendre. Jésus ne se laisse pas enfermer : ‘’allons ailleurs’’.

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