par Eric de NATTES

Matthieu 22, 15-22

L’impôt à César 

« Rendez-donc à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Jésus n’a donné aucun programme politique avec cette parole. Il n’a justifié aucun état de vie social ni aucun régime politique.

Dans le contexte de l’époque (un État Hébreux sous protectorat romain, une nation asservie à un envahisseur), cette maxime ne donnait aucune solution à suivre. Fallait-il, avec les Zélotes, refuser de payer l’impôt, appeler à la révolte, et comme nous le savons désormais, mener le pays tout droit à son anéantissement avec la guerre des Hébreux comme on l’a appelé : la ruine du Temple en 70 par les armées de Titus, l’épisode ultime, horrible, du suicide de Massada et la fin de la nation hébreux jusqu’à sa recréation le 14 mai 1948 ? Fallait-il composer comme les pharisiens l’ont fait ?

On voit mal comment Jésus aurait pu justifier un mouvement révolutionnaire, lui qui n’a rien démoli mais au contraire a reconstruit le véritable Temple ; lui qui n’a jamais soumis personne mais appelé le plus grand nombre ; lui qui a refusé la tentation de la domination même sous couvert de faire le bien.

Mais on voit plus mal encore comment Jésus aurait pu justifier une soumission aveugle aux autorités, lui qui a chassé les vendeurs du Temple ; lui qui s’est opposé aux Grands-Prêtres de ce même Temple ; lui qui n’a pas baissé le front ni le verbe devant Pilate, le gouverneur romain.

Invitation à l’humilité et à ne sacraliser aucun pouvoir terrestre : les royaumes, les régimes politiques passent. Et l’homme cherche le meilleur gouvernement dans l’obscurité des passions humaines – dont celle de la domination – au milieu des pulsions de morts et dans les eaux profondes des appétits et de la démesure de l’humain, de la multitude des intérêts particuliers. C’est la responsabilité de l’homme. Malheureux celles et ceux qui se revêtent de l’autorité du sacré, de Dieu, pour orner leurs projets politiques, leurs ambitions propres et parfois folles, leurs revanches à eux. Et malheureux celles et ceux qui leur prêtent l’oreille. Qu’ils rendent à César ce qui est à lui : les royaumes de la terre, éphémères et toujours à reconstruire. L’histoire les jugera. Et à Dieu, son Royaume, celui de la Vie, la vie qui est donnée et appelée à se donner. Et là, c’est nous-mêmes qui nous jugeons et nous excluons de ce Royaume-là, celui de la vie véritable, ou qui y pénétrons mais comme d’humbles pèlerins venant demander asile.

Invitation au discernement. Car si ce qui appartient à César et à Dieu doit être distingué, il est tout aussi important de comprendre que ce qui relève de Dieu permet un discernement pour ce qui concerne César. Si Dieu nous donne l’Esprit et non une recette à appliquer, c’est qu’il refuse lui-même le rôle de maître à penser. Lorsque notre pays, comme Israël à l’époque de Jésus, fut sous la botte de la tyrannie nazie, je ne pense pas que Dieu ait envoyé une recette. Des croyants ont réfléchi et prié. Les plus éclairés s’étaient préparés à cette éventualité. Beaucoup s’en sont remis à ce que l’autorité leur disait. Cela leur semblait raisonnable. Ensuite, lorsque des lignes rouges furent franchies, il entrèrent en résistance. D’autres restèrent soumis. D’autres encore entrèrent en résistance dès le début, soupçonnant l’engrenage dans lequel tous seraient pris. Et ils ont fait le don de leur vie, en conscience. Bienheureux sont-ils, celles et ceux qui n’ont pas remis leur décision à une autorité autre que leur conscience éclairée. Celles et ceux qui ont réfléchi pour eux-mêmes et qui ont su éviter les discours de vengeance aveugle comme les paroles de peur qui entraînent la soumission. Ils ont été les lumières pour les générations futures.

Aujourd’hui comme hier, Seigneur, tu nous demande de distinguer puis de discerner et en conscience de choisir, de nous préparer, d’être libres, mais dans l’inconfort du clair/obscur de l’Histoire et de ses épreuves, de la tourmente de nos vies.