par Eric de NATTES

Matthieu 15, 21-28

Une page qui nous met mal à l’aise. Le silence de Jésus face aux cris de détresse d’une mère pour sa fille… Indifférence ? Rejet de cette étrangère au peuple d’Israël ? Et les mots très durs : les petits chiens qui ne sont pas admis à la table des enfants…

Il y a bien sûr un contexte qui éclaire ces versets. Nous nous souvenons : la communauté de Matthieu est essentiellement Judéo-chrétienne. Des juifs convertis à la Parole de Jésus qui est accueilli comme Fils du Père des cieux, Messie attendu. Cette petite communauté se réunit déjà pour célébrer l’eucharistie. Et voilà que des païens demandent l’accès à cette table. Ils se convertissent. Grand débat dans la communauté ! Les païens (les chiens, les cochons comme les appelaient les juifs de l’époque)) ont-ils donc les mêmes droits que les enfants légitimes (les membres du peuple élu) ? Jésus lui-même ne dit-il pas qu’on ne donne pas les perles aux cochons ?

On a les échos de ce débat dans les mots employés. La cananéenne crie : « Prends pitié de moi ! » : ce sont déjà les mots de la liturgie des premières communautés. Ceux-là même que nous avons, nous aussi, chantés. Elle donne à Jésus les titres reconnus par le peuple d’Israël : Seigneur, Fils de David. Elle se prosterne enfin, geste de l’adoration face à Dieu. On sent que tout ce passage est retravaillé par Matthieu qui le tient de Marc pour montrer combien cette païenne reconnaît la préséance historique du peuple d’Israël, qu’elle accueille les paroles de la prière communautaire (elle en connaît les formules) et les titres. La communauté peut être rassuré, Jésus a bien conscience d’être venu en premier pour les fils d’Israël. Mais ils résistent au message. Doit-on exclure les païens ?

On peut aussi imaginer qu’il y a là une pédagogie de Jésus. Pourquoi entraine-t-il ses disciples dans cette région païenne ? Ne peut-on lire dans son rejet initial et ses paroles très dures, l’attitude des disciples. Eux veulent d’ailleurs qu’il réponde aux cris de cette femme pour se débarrasser d’elle. Elle les encombre. Jésus pousse alors cette femme jusque dans ses derniers retranchements. Pour qu’elle exprime sa foi. « Femme, ta foi est grande. » Tout est dit ! C’est la foi qui ouvre au Salut, à l’action de Dieu. Pas une appartenance ethnique. Jésus questionne fortement le cadre fermé dans lequel les disciples comprennent l’action de Dieu. Il les ouvre à sa nouveauté. Il leur montre combien leur attitude ne peut qu’engendrer l’exclusion et fermer les portes du Royaume à celles et ceux qui ne sont pas bien nés.

Les débats ont toujours été vifs dans la communauté chrétienne, dès les début. Nous en avons la trace dès les évangiles. Mais il me semble que la résolution des questions a toujours été pensée dans le sens de l’ouverture et le l’universalité du message. Les évangélistes ont en fin de compte montré Jésus comme franchissant toujours les cadres mentaux étroits de ses disciples pour les ouvrir à l’action de Dieu : le Salut, la vie donnée en plénitude pour tous. Sa pédagogie vis-à-vis de ses disciples va toujours dans ce sens. Il leur montre combien leur étroitesse n’est pas tenable. Et c’est ainsi que la Parole s’est répandue. Il ne faudrait pas que les disciples d’aujourd’hui – ceux qui se prétendent tels – n’entendent pas les cris des ‘’petits chiens’’ qui n’ont pas accès aux miettes de la table des décisions. Ces cris semblent ne même plus les déranger, tant leurs certitudes son enkystées et grand leur mépris. À force de leur refuser les miettes, il se peut qu’un jour il n’y ait même plus d’enfants légitimes autour de la table.

« Prends pitié de nous Seigneur ! Et délivre-nous de nos démons. »