Jean 9, 1-41

Pour passer la soirée de Carême #2 confiné chez soi

Lecture préparatoire

. La « Lumière de la vie » est en ce monde, parmi nous et elle est à l’oeuvre dans le jour finissant. Comme nous l’avons vu avec la Samaritaine : 2 niveaux s’entrecroisent et font le fil du récit : jour finissant de ce monde et Lumière de la vie à l’oeuvre avant que l’heure des ténèbres ne vienne

. Le signe. Saint Jean ne parle pas de miracle. Car s’en tenir à la guérison physique, c’est passer à côté de la signification profonde :

. Salive, boue… l’homme est en état de création, il n’est pas achevé, il lui faut se laisser façonner par le Créateur, c’est aujourd’hui, en cet instant que je suis créé. « Le Père et moi sommes à l’oeuvre ».

. Un ordre : aller à la « piscine de l’envoyé ». Il faut pourtant la collaboration de l’homme. Plongée baptismale : renaître et regarder d’un regard nouveau le monde et soi-même en chemin d’accomplissement. Non pas comme une réalité finie qui attend désespérément sa « date de péremption », sa fin. Par le baptême, le signe de l’eau, je dis que je suis une réalité en naissance continue. Cette plongée de l’aveugle en est comme un symbole.

L’enjeu. Un certain regard sur Dieu et l’homme. « Qui a péché ? » Les disciples sont dans une justice de rétribution : ce qui veut dire pour eux qu’un mal ne peut être qu’une punition. La cécité pour eux est une fin, une sanction qui doit avertir les autres. Pour Jésus, la cécité, l’aveuglement si l’on peut dire, touche aussi les disciples qui ne le savent pas. Il faut leur ouvrir leur regard alors que leurs yeux de chair fonctionnent pourtant. La guérison de cet homme va donc être un signe pour eux. Le reconnaîtront-ils ? « Pour que les oeuvres de Dieu se manifestent. » Jésus, comme Fils qui accomplit la volonté du Père, dévoile, à l’oeuvre, la puissance re-créatrice du Père, toujours et partout. La cécité est un commencement, pas une fin, et qui appelle un terme : la vue, voir enfin. Elle est l’occasion d’une révélation, d’un dévoilement. Vous croyez voir, vous êtes des aveugles. »

À partir de là, le récit opère une séparation : la lumière de la vie (Jésus n’apparaît plus dans le récit) ; il n’y a plus que la lumière du jour de ce monde (l’aveugle guéri et les différents protagonistes qui vont défiler). Les dialogues organisent l’enquête : qui t’a guéri (on veut savoir l’identité de Jésus : les uns pour l’accuser, les autres pour la récuser, enfin aussi pour y adhérer). Mais jamais la question : « pourquoi t’a-t-il guéri ? » Regardons alors défiler les personnes :

  • Voisinage : Identité renouvelé de l’homme aveugle. C’est bien lui, mais comme nouveau : il voit. Mais celui qui a accompli cela a disparu. Identité de Jésus : Il est « l’homme Jésus ».
  • Pharisiens : On amène l’aveugle guéri devant eux. Faut-il attester la guérison et lever « l’impureté » de manière officielle ? Problème, faire de la boue un jour de Sabbat, est-ce un travail ? Division au sein des pharisiens : cet homme est-il de Dieu ou non ? Ils se tournent vers l’homme guéri qui ne voit pas mieux qu’eux par ses yeux de chair mais qui a désormais le regard intérieur ouvert : c’est un Prophète dit-il, comme la Samaritaine. Jour de ce monde et Lumière de la vie commencent à se conjuguer et à éclairer l’aveugle guéri. Les pharisiens à l’inverse dissocient les deux : et cela les amène à ne pas voir la visée du Sabbat (libération de l’esclavage : oeuvre bonne et gratuite de Dieu, et célébration du 6ème jour de création), le pourquoi de la guérison de cet homme ne se pose pas. L’oeuvre de Dieu tout-entière commence à leur échapper.
  • Les Juifs (étrangement séparés des pharisiens mais dont on sait dans le déroulement des controverses de l’Évangile selon St Jean qu’ils désignent les adversaires de Jésus), les parents (qui n’apparaissent qu’à cause du refus de « croire » des Juifs et leur suspicion à l’égard des propos de l’homme né aveugle). L’aveugle né disparaît à son tour du récit. Les juifs soupçonnent une supercherie, auquel cas tout débat tomberait et Jésus se révèlerait un charlatan. Les parents s’en tiennent au savoir objectif, celui de la lumière de ce monde, des yeux de chair : c’est bien leur fils ! Qui a guéri et comment, ils ne le savent pas = ils ne permettent pas une connaissance de Jésus. Le fils est « abandonné » aux juifs : « interrogez-le ! » Peut-être en savent-ils plus mais ils s’en tiennent à la naissance selon le jour de ce monde (un fils aveugle). Ils ne se prononcent pas sur la nouvelle naissance : un fils qui voit.

Verset 22 : l’épreuve mise à jour. Il s’agit désormais de témoigner non pas des faits objectifs sans se prononcer sur l’interprétation, mais précisément s’engager sur l’identité de celui qui a guéri, et pouvoir confesser qu’il est Christ. Alors l’oeuvre de Dieu s’accomplit : reconnaître Jésus comme Christ, Lumière venue du Père, de la Vie elle-même, en ce monde. Dans la seule lumière du jour de ce monde, il faut non seulement nier cette identité mais l’interdire aux autres (chasser de la synagogue), ce que font les pharisiens. Le Fils témoigne du Père, le fils aveugle de naissance et guéri, mais livré aux hommes, va témoigner pour Jésus. L’identification se fait entre eux-deux.

  • Nouvelle rencontre avec les pharisiens. Ils sont désormais dans la certitude d’un savoir sur l’interprétation des faits (comment ? On ne sait pas trop.) : cet homme n’est pas de Dieu, il est pécheur. l’aveugle doit donc rendre gloire à Dieu, mais renier Jésus. C’est alors que l’aveugle rappelle sa guérison et se déclare ignorant sur le prétendu savoir des pharisiens. Les faits vont alors être à nouveau interrogés : ici l’aveugle guéri invoque la non-écoute des pharisiens qui peut avoir quel sens : veulent-ils devenir disciples ? Alors s’engage le combat :
  • Savoir des pharisiens qui n’écoutent pas ! Jésus est pécheur, l’aveugle de naissance est tout-entier dans le péché depuis sa naissance (ils ont le même regard que les disciples au début), Dieu a parlé à Moïse, ils (les pharisiens) en sont les disciples, et Jésus d’où est-il ?
  • Question de l’aveugle qui écoute ! Il devient l’enseignant : Dieu n’écoute pas les pécheurs, jamais on n’a entendu qu’on ait guéri un aveugle de naissance, mais les pharisiens avouent leur ignorance sur « d’où vient Jésus ? » Alors qu’il est investi de Dieu, selon l’évidence. L’aveugle est jeté dehors, selon la menace présentée au verset 22.

L’opposition est désormais nette entre des pharisiens qui rejettent Jésus au nom d’un savoir et l’aveugle guéri qui peu à peu passe de l’homme Jésus, au prophète puis à celui qui est investi de Dieu.

L’aveugle /disciple : non seulement la vue lui a été rendue (le voir intérieur aussi), mais désormais il écoute. C’est le prologue dans une situation précise : la Lumière venue dans le monde et non reconnue, la Parole faite chair, mais non écoutée. Nous réalisons aussi que l’aveugle guéri est fils, abandonné, interrogé, injurié, accusé de péché, exclu ! Il ressemble de plus en plus au Jésus de la passion. Il est configuré à lui (alors qu’il est allé se baigner dans la piscine de l’envoyé : baptême) alors qu’il ne l’a pas encore vu et qu’il n’a pas encore proclamé sa foi pleine et entière.

  • Retour de Jésus au final : Une fois l’homme jeté dehors, Jésus réapparaît pour lui poser la question de sa foi. « Le fils de l’homme » : 11 fois dans l’Évangile selon Jean. Figure mystérieuse dans le livre du prophète Daniel, annonçant la fin des temps il réunit l’ensemble de l’humanité sous l’autorité de Dieu. Qui est-il ? Si l’aveugle guéri voit Jésus et sait ce qu’il lui doit, il ne « voit » pas le Fils de l’homme » de ses yeux de chair. Tout comme nous. Il lui faut croire, passer à la foi ! C’est l’ultime passage du disciple qui, s’il voit Jésus doit croire au Messie, au Sauveur, à celui qui rassemble l’humanité sous l’autorité de Dieu. L’aveugle voit désormais aussi au-delà de la lumière du jour de ce monde, dans la Lumière de Dieu. Le fils rejeté devient désormais lui aussi en Jésus Fils du Père. C’est encore le prologue : « A ceux qui l’on reçu, à ceux qui croient en son nom, il donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang… »
  • Le jugement : Les pharisiens qui ont condamnés Jésus et l’aveugle (tous deux pécheurs) se condamnent en réalité eux-mêmes, piégés par leur identification entre la cécité et le péché, leur idéologie religieuse. Ils voient mais demeurent dans le péché. Ils s’interdisent le Salut. Ils voient, ils savent et n’écoutent pas. Reconnaissons que l’aveugle guéri ne condamne pas ceux qui le condamnent. Le jugement de Dieu met en lumière l’innocent bien plus qu’il ne pointe ou désigne un coupable. Il ne vient pas pour condamner, il vient pour montrer le chemin pour sortir du péché, de la cécité. On peut d’ailleurs entendre la question des pharisiens : « Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles nous aussi ? » Comme une ultime possibilité pour eux de cheminer, et non pas seulement comme une fureur ou une ironie. Dieu les écoute s’ils reconnaissent leur aveuglement.

Nous retrouverons notre aveugle né dimanche 29 mars dans la résurrection de Lazare lorsque « quelques uns dirent – alors qu’il voyaient pleurer Jésus – Ne pouvait-il, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, que celui-ci ne mourût pas. »

Le paradoxe est posé : Se laisser ouvrir les yeux par la Lumière de la Vie, c’est aussi voir la nuit de la mort qui vient, l’obscurité qui peut être dans le coeur des hommes, dans le mien. Passion, mort, résurrection.