par Eric de NATTES

Jean 4, 5-42

La Samaritaine. Carême 2020. 1er scrutin

Une culture de la rencontre, envers et contre tout !

Car rien ne rend cette rencontre facile : une heure improbable pour rencontrer quelqu’un au bord d’un puits à midi, en pleine chaleur ; un homme une femme dans une culture de la séparation de ces deux sociétés : féminine et masculine ; un juif et une samaritaine avec les préjugés religieux devenus granitiques au fil des siècles.

Jésus va lever tous les obstacles à la rencontre : l’indifférence, puisqu’il formule une soif, une demande, un manque, à celle qui semble bien desséchée ; les préjugés dans lesquels il ne se laisse pas piéger : toi, un juif ; es-tu plus grand que notre père Jacob ; la bienséance, l’attitude moralisatrice : tu as eu 5 maris et celui avec qui tu vis ne l’est pas ; la vie elle-même réduite à une répétition sans joie. Tout ce qui semblerait à d’autres insurmontable, Jésus le lève peu à peu. De l’hostilité, voilà que l’on passe peu à peu à l’hospitalité. Les récits bibliques sont remplis de ce passage, de cette « pâque », du retour vers l’alliance. Tel est une des pâques que Dieu sollicite sans cesse en nous. Pour que nous soyons des vivants et pas simplement que nous restions en vie.

Une culture de la vie toujours à re-susciter !

Je ne peux qu’inviter chacun à laisser jouer ces deux images en lui, si parlantes, sur le même élément pourtant : l’eau. 1°) image : un puits, de l’eau prisonnière ; il faut aller la puiser profondément, et, si je puis dire, s’épuiser à recommencer cette tâche, indéfiniment pour rester en vie, mais sans joie véritable ; il semble d’ailleurs que ce soit dans la solitude et une aigreur qui ne font pas très envie. 2°) De l’autre côté une source jaillissante, dont le jaillissement ne dépend pas de la peine ; si elle jaillit, elle déborde et ne se laisse pas contenir ; elle arrose et coule sans souci de tarir, elle n’a pas souci d’elle-même. Il ne s’agit pas pour cette femme de remplir un puits raz-bord mais de laisser jaillir. Pas de satiété illusoire, mais de fluidité. Plongeons dans notre puits obscur, mais avec Jésus. Que veut dire pour chacun de nous laisser jaillir à nouveau l’eau vive en nous et non nous épuiser à aller puiser l’eau prisonnière qui ne nous désaltère plus du tout.

Au départ une femme seule, à l’heure de la pleine chaleur, venant chercher l’eau au puits, peu encline à être dans le don. On la sent aigre et dominée par des préjugés. Comme en écho à cette corvée répétitive de l’eau, on découvre, sans jugements moraux, la succession des 5 maris plus l’actuel compagnon. Mais on ne sent toujours pas de joie. À la fin du récit, une femme qui laisse là sa cruche d’eau prisonnière et revient avec beaucoup plus qu’un compagnon mais avec un village tout entier.

Entre temps, un homme qui ne s’est pas laissé piéger par sa tristesse, son aigreur, sa manière d’avoir bloqué le don en elle. Elle ne pouvait plus ni accueillir ni donner. Un vrai puits d’eau prisonnière que cette femme. Un homme qui l’a amenée à faire la vérité. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait »… on sent bien qu’il ne s’agit nullement de ragots sentimentaux, de révélations croustillantes : « il m’a fait voir l’impasse de ma vie et pourtant, et pourtant il a refait couler en moi le désir de faire confiance (d’avoir la foi, d’accueillir le don), d’aimer, de vivre.

Voilà la culture divine si je puis dire, et sa mise en oeuvre par Jésus dans chaque rencontre évangélique, pour peu que l’autre le veuille aussi. La vie qui semblait n’être plus qu’être en vie, voire en mode survie, et qui revient en abondance. La vie suscitée, re-suscitée, mais ici, aujourd’hui et maintenant et pas seulement après la mort de cette vie devenue sans joie.

Seigneur, si je cherche la vie jaillissante accepterai-je de rencontrer l’époux de ce désir-là ? Celui qui ne vient pas pour me « combler » mais pour laisser jaillir en moi !