Par Eric de NATTES

Matthieu 3, 1-12

Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines.

Dernièrement j’ai dû couper un arbre, un figuier qui commençait à menacer un mur et un escalier par ses racines. Il faut creuser assez profond pour espérer qu’aucun rejet de repousse. « Image de la cognée » (aujourd’hui tronçonneuse) à la racine de l’arbre.

L’image me plait : une souche, un rejeton qui en part. Qui n’a pas vu un arbre coupé dont on pense que c’est fini pour lui. Et pourtant, le printemps venu, voilà que des rejets reprennent, que la vie était encore dans cette souche toute dure.

Quand je vois mon Église prise dans une tempête qui semble sans fin et qui révèle tellement d’obscurité. Ne me fait-elle pas penser à un arbre dont les feuilles disparaissent une à une, dont les branches se brisent ? Certains de ses membres, par leur dureté, leur résistance à tout appel qui vient du coeur pour changer de ton et d’attitude ne me fait-elle pas penser à une souche indéracinable mais qui semble stérile ? La cognée était à la racine et voilà que le travail du bûcheron a commencé. Car c’est bien à la racine qu’il faut aller et non se contenter de tailler quelques branches.

Je pense alors au rameau qui est sorti de la souche de Jessé. Improbable, inattendu.  Tout semblait sec de ce côté là. Une religion du Temple sclérosée, des prêtres bien compromis avec l’occupant, soucieux de leur propre pouvoir, de la rentabilité de leur Temple. Des Pharisiens sourcilleux d’une obéissance à la loi qui en devient étouffante et qui rejette les « mal-pratiquants » (publicains et pécheurs) hors de tout salut : « vous fermez les portes du Royaume et n’y entrez pas vous-mêmes, dira Jésus ». Des Zélotes qui pensent pouvoir se mesurer avec la puissance militaire de Rome et qui conduiront à l’anéantissement de l’État d’Israël par leur révolte. Une attente messianique fébrile. L’homme providentiel qui va venir tout régler ! Par la force, la violence s’il le faut. On voudrait que le Bien utilise les mêmes armes que le mal, mais pour faire le bien, pour nous débarrasser du mal. Et voilà que Dieu nous dit que cela n’est pas possible et cela nous révolte. Il nous suggère que le Bien doit se désarmer pour être le Bien. C’est difficilement supportable. Alors…

Jésus est le rameau inattendu : avec les qualificatifs : ne jugera (il vaudrait mieux dire : fera justice) pas sur l’apparence ; ne se prononcera pas sur des rumeurs ; se prononcera en faveur des humbles.

Aujourd’hui de par le monde deux milliards de tous petits rameaux, baptisés en Jésus. Mais sans conscience de la puissance du Bien qu’ils pourraient représenter.

. Jean Le Baptiste lui-même ne s’attendait pas à ce rameau-là. Avez-vous entendu les mots de sa prédication pour amener un peuple à la « nuque raide » à la conversion ? « Comment avez-vous appris à fuir la colère qui vient ? Tout arbre qui ne produit pas de fruit va être coupé et jeté au feu… Il tient à la main la pelle à vanner et il va nettoyer en séparant le bon grain placé dans le grenier de la paille qui sera jetée au feu. » Qu’obtient-on par la peur ? Quelle forme d’adhésion ? Celle du coeur ?

On pense à Jésus qui demande à prendre patience et de ne pas séparer trop vite l’ivraie du bon grain pour ne pas risquer de tout arracher. On pense à la parabole où le jardinier implore le maître de prendre patience pour son figuier qui ne donne aucun fruit : il va mettre de l’engrais, bêcher, et on va voir s’il ne produit pas.

Bien sûr, il y a en chacun de nous un Baptiste qui peut espérer une justice expéditive de Dieu. Nous sommes saturés par tant d’injustice et de drames et de malheurs. Bien des églises aux accents guerriers et très politiques me semblent être beaucoup plus des disciples du Baptiste que de Jésus.

On n’arrive pas à Jésus naturellement. S’ajuster à lui, à ses paroles, à son attitude, c’est la conversion d’une vie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est pour moi la Parole de Dieu, le Fils du Père. Ses paroles à lui me touchent avec une proximité incroyable. Et elles me troublent pourtant.

 Mais peut-être est-ce la paix radicale qui l’habite, la non-violence qui sera la sienne jusqu’au bout, l’amour lucide qui n’aura jamais peur de la vérité, et finalement la vie qui se donne plutôt qu’une survie dans la lâcheté, qui me montre toute la paille qui est en moi et le peu de bon grain. Oui peut-être est-ce cette attitude-là qui fait justice en moi, plutôt que toutes les images qui suscitent la peur pour m’obliger à changer.

En ce 8 décembre, à l’approche de Noël comment ne pas te prier Marie. La mère qui a porté le mystère de la Parole de vie qui a pris chair en elle. Tu as dit « oui » Marie. Apprends-moi à chasser la peur de dire « oui » à mon tour. Que cette Parole prenne chair en moi aussi, Marie. Qu’Elle transforme ma vie. Qu’Elle la pétrisse pour en faire le pain qui se donne en nourriture.