Par Eric de NATTES

Luc 16, 1-13

L’intendant malhonnête

Lecture cet été du dernier roman de Marc Dugain : « Transparence ». On est à la fin des années 2060, ‘’Transparence’’ est le nom d’une société du Numérique, assez secrète, basée en Islande et présidée par une française. On découvre que cette société, en secret, a mis au point un procédé révolutionnaire : la possibilité d’enregistrer la totalité des infos stockées par le cerveau d’un individu et de transférer tout cela dans une nouvelle enveloppe corporelle, artificielle, indestructible. C’est donc – enfin – l’accession à l’immortalité ! (Je rappelle que des Sociétés travaillent aujourd’hui à ce type de projets : l’humanité augmentée). C’est le passage du biologique, avec son inexorable date de péremption (nous allons tous mourir) au numérique et à la robotique qui fait accéder à l’immortalité.

Le roman ne s’arrête pas là ! Cette Société – Transparence – s’arroge le droit de choisir ‘’qui’’ sera éligible à cette nouvelle technologie révolutionnaire, et cela, selon des critères éthiques, moraux. Il vous faudra montrer que vous êtes altruiste, généreux, honnête etc… puisqu’il ne s’agit pas de donner l’immortalité à des crapules qui vont peupler désormais de manière définitive, la terre… Et curieusement, la vie éternelle – mais sous condition morale – étant devenu une réalité, l’humanité fait tout à coup des progrès considérables. L’argent est relativisé. C’est tout une économie qui est remise en cause. Et l’humain semble faire de réels progrès moraux ! Je ne vous livre pas la fin du roman pour celles et ceux qui voudraient le lire !

On voit comment Dugain, construisant sa fiction à partir des technologies de demain – intelligence artificielle, biotechnologies, nanotechnologies, robotique, numérique…- réinvente la promesse du Royaume de Dieu, avec la vie donnée en plénitude, la vie éternelle, mais après un jugement qui vous passe au crible de critères moraux assez sélectifs.

 

Vous ne trouvez pas que le roman – parabolique – de Dugain éclaire bien la courte parabole de Jésus ? Un intendant qui, à la longue, a fait main basse sur les biens, qu’il n’avait pourtant qu’en gérance. Et voilà que ses détournements ont été révélés et que sa gérance arrive à son terme ! Mais la vie, elle, va continuer ! Cependant, sans les revenus malhonnêtes d’une gérance peu scrupuleuse… N’est-ce pas la condition humaine ? En tout cas la condition humaine qui se fourvoie qui s’illusionne :

  1. en pensant à la longue que le capital lui appartient. C’est faux ! Pour l’instant, il n’a pas de planète de rechange et ce capital, il l’a en gérance, c’est tout !

  2. En pensant que la valeur de la vie est dans le capital qui n’est là normalement que pour servir la vie elle-même. Au fond, une autre manière de le dire est d’avoir mis l’argent au rang d’idole, de Dieu. Alors qu’il n’est qu’une valeur d’échange, il devient la valeur elle-même !

Curieusement, placé devant une situation de vie tout à fait nouvelle, notre intendant change radicalement ses valeurs… Tout à coup l’amitié de ceux qui n’étaient autrefois que ses débiteurs, lui devient nécessaire. « Ils le recevront peut-être bien, dans leurs propres maisons, en souvenir de la dette qu’ils ont à son égard. » Ça, c’est intéressant ! Un homme qui tout à coup, découvre que le capital peut être ailleurs que dans l’argent. Ou plutôt que le capital peut servir à autre chose, avoir une autre destination. Qu’il peut servir les relations humaines elles-mêmes. Qu’il est à destination de l’homme. Qu’il est aussi un capital humain, celui de la relation, de l’amitié, de la confiance qui peut s’avérer, le moment venu, tellement plus utile que de l’argent !

 

Rappel : Pas de position idéologique, d’idée toute faite, de posture, de la part de Jésus au sujet des riches. Il suffit de se rappeler : Zachée propose de redonner à ceux qu’il a extorqué et plus (Jésus ne lui avait rien demandé et cela suffit) ; au jeune homme riche Jésus lui propose de se dessaisir de ses biens et il ne le peut ; on apprend par ailleurs que Jésus est aidé financièrement par des femmes influentes dont l’épouse de l’intendant du palais d’Hérode pour que le groupe des disciples puisse vivre ! Cela pour dire que dans la situation concrète, Jésus discerne ce qui est bien pour la personne au regard de l’argent. Il ne suffit pas d’être pauvre pour être un type bien, ni d’être riche pour devenir un sale type. En revanche chacun est invité sérieusement à s’interroger sur son rapport à l’argent, parce qu’il est révélateur de ce que nous considérons dans la vie comme la valeur véritable ! Où est notre trésor véritable. Où nous mettons notre confiance et notre espérance.

 

Jésus ne fait pas l’éloge de l’escroquerie. Non, il ne recommande pas d’être peu regardant sur l’argent sale, dès lors qu’on fait soi-disant du bien avec ! Il dit, me semble-t-il : l’argent a un pouvoir d’illusion, de tromperie qui est effroyable. D’une certaine manière : il EST trompeur, c’est sa nature en quelque sorte. Il détourne le regard de la valeur véritable de la vie. Il vous donne l’illusion d’être riche alors que vous n’êtes qu’en ‘’possession’’ de richesses.

Alors gardez le cap ! Où est l’essentiel ? Interrogez-vous, sans cesse. Oui, cet essentiel, ce bien véritable, lui, est impalpable (contrairement à l’argent qu’on peut palper), et pourtant pas du tout abstrait (contrairement à l’argent). Il est dans la communion fraternelle, la qualité de relation dans chacune de nos vies (avec vous-même, en couple, avec vos enfants, votre fratrie, vos collaborateurs, chaque personne dont vous saurez vous faire le prochain). Là, l’argent est ramené à sa valeur. Donc, avec cet argent qui par nature est trompeur si l’on peut dire, utilisez-le aux fins véritables de cette écologie intégrale qu’appelle le Pape François : l’homme réconcilié avec sa maison commune, offrant un espace de vie bonne pour le plus grand nombre.