Par Eric de NATTES

Luc 17, 5-10

« Augmente en nous la foi ! »

Paroles difficiles à entendre : à partir d’une demande qui semble bien légitime, des réponses taillées à la serpe… « La foi, si vous en aviez gros… » ; « des serviteurs inutiles… ».

La demande initiale : « Augmente en nous la foi, la confiance ! »

Question qui vient au terme d’un long cheminement où Jésus a fait part à ses disciples qu’il y aurait la présence de l’opposition, de l’échec, et même de la mort violente ! Le chemin pascal : témoignage, opposition, indifférence, mort et résurrection. Il ne leur annonce pas un triomphe à la manière dont eux le rêve ! Il faut aussi comprendre que cet Évangile est rédigé alors que les premières communautés chrétiennes se trouvent précisément confrontées à l’indifférence, voire à la persécution et aussi aux scandales internes. Voilà qui nous rappelle des choses, non ?

« Augmente en nous la foi ! » Cri qui vient du sentiment d’être dépassé par la tâche à accomplir ! Débordé par la situation. Comment continuer à faire confiance dans une Église où se révèlent tant de scandales. Comment continuer d’être dans l’Église alors que tant et tant de personnes, de proches, l’ont désertée pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ou n’y trouvent plus leur place ? Comment continuer d’avoir foi alors qu’une indifférence massive semble envahir le monde qui nous entoure ? Comment croire Seigneur que tu es « le chemin, la vérité et la vie », alors que nous nous semblons peu à peu être effacés de ce monde, qu’il nous semble que nous mourons.

Deux mille ans après, la question est toujours angoissante, d’actualité. Avec cette certitude que par nos seules forces à nous, tout nous semble démesuré. Que Dieu seul peut nous faire le don de la foi, de la confiance inaltérable dans la force de l’Évangile. « Vous n’avez pas reçu un esprit de peur, mais de force ! » Dit Paul à Timothée.

 

2°) Jésus, par une parabole, prend à nouveau une image de la nature, une image de la vie, pour secouer ses apôtres. Le grain de moutarde, si petit ! La plante, si épanouie !

 

Parabole du grain de moutarde = parabole du refus de l’impuissance ! La foi apparaîtra toujours comme le grain de moutarde = insignifiant au regard de la tâche à accomplir. Et toujours, la semence est appelée à disparaître, à mourir pour porter son fruit véritable qui sera sans commune mesure avec l’arbre qui sera déployé. Si la vie refuse de se planter là où elle est, de mourir, et de tenter l’aventure du don, alors elle sera stérile et mourra quand même. Nous ne maîtrisons pas, à partir de la semence, les transformations qui vont donner l’arbre. Là où tu es, si petite te semble ta foi, ta confiance, fais le bien ! Le reste vient du diable qui te souffle ton impuissance, ta petitesse, ton insignifiance. Il se réjouit de ta tristesse et de ton abattement. Il sait que, dès lors qu’il s’agit de la vie elle-même, tout commence de manière cachée, invisible, insignifiante. Il veut te décourager. Alors il connaît le plus sûr moyen : te tourner vers toi et ton insignifiance. L’Évangile dit l’inverse : la vie est faite pour se donner et s’effacer peu à peu dans ce don, pour mourrir. Mais c’est ainsi qu’elle s’accomplit et renaît à la vie véritable. En s’oubliant dans ce don. Comme la semence disparaît dans la plante qui naît, comme le grain de blé mûr s’oublie dans la farine qui va elle-même s’oublier dans la pâte qui va donner le bon pain doré qui va nourrir l’homme etc…

 

Alors la finale s’éclaire : le serviteur inutile ! Pas « quelconque », mais bien : « inutile » !

 

En deux mots, s’il s’agit de servir la vie (ce qui me semble bien être l’oeuvre du Fils qui collabore avec le Père qui l’a envoyé pour manifester aux hommes cela), s’il s’agit bien de permettre à la vie de se relever, s’il s’agit d’accompagner la vie comme un berger, d’en prendre soin, parce qu’elle est fragile, qu’elle est menacée, qu’elle est atteinte dans son intégrité, dans sa dignité, bref, de collaborer, pour nous, à l’oeuvre du Fils, alors nous ne pouvons être que des serviteurs – des serviteurs empressés, actifs, ingénieux, audacieux etc… mais jamais les maîtres. Il s’agit de nous délivrer du fardeau de nous croire « responsables » de la vie, de devoir à toute force la guider selon nos vues, de devoir la sauver, en un mot de prendre pouvoir sur elle pour l’orienter malgré elle, selon nos désirs, nos objectifs, nos vues. S’il s’agit de sauver la vie, pour le dire selon la foi, nous voilà inutiles : Dieu seul le peut ! Nous, nous ne pouvons qu’écouter, offrir, proposer, dialoguer, permettre…

Par cette parole, Jésus ne me délivre pas de ma part du service. Tout au contraire, il m’y invite très fortement. Mais il me délivre d’une angoisse qui peut virer au cauchemar : être en charge de la vie elle-même comme si j’en étais le maître, le propriétaire, le responsable, et le sauveur. Angoisse qui a produit les pires régimes totalitaires et les pires fanatismes religieux.

J’ajouterai volontiers que Jésus déploie cette parabole selon nos vues à nous, très terrestres, très humaines, des rapports Maître/Serviteur. Mais qu’à bien y regarder, Dieu – le Maître – qui se manifeste en Jésus, prend lui-même la place du serviteur qui ne vient pas pour être servi mais bien pour servir. Et que Dieu est ce maître qui revêt le tablier de service alors que les serviteurs rentrent de mission, pour les installer autour de la table de la vie, du Royaume. En Jésus, le Père ne fait-il pas cela lors de la Cène ?

Dieu lui-même, d’une certaine manière, restreint sa puissance pour qu’elle ne soit qu’une puissance de Salut, de relèvement de la vie, mais sans contraindre, sans y obliger. Il sollicite l’approbation de l’homme, son adhésion, son assentiment. Sans cela, c’est l’amour qui disparaît… Et l’enfer qui apparaît peu à peu.