Par Amos BAMAL

Luc 13,1-9

                        L’urgence de la conversion.

La liturgie des dimanches de carême rythme, semaine après semaine, notre marche vers Pâques en projetant une lumière particulière sur tel ou tel aspect de notre vie chrétienne. Le premier dimanche nous a invités à contempler le Christ dans les tentations au désert, et à déchiffrer dans ce récit un aspect constitutif de notre propre existence : le combat contre la tentation. Le deuxième dimanche, en nous donnant à méditer sur la transfiguration, nous proposait une vision prophétique de la résurrection, capable de soutenir notre effort jour après jour, comme l’événement de la transfiguration lui-même devait aider les disciples à affronter les événements de Jérusalem. Ce troisième dimanche, le projecteur est fixé sur notre conversion. Il s’allume en reprenant des événements historiques sur lesquels le Christ apporte une interprétation. Il s’agit d’événements apparemment tout à fait banals : une répression sanglante qui met à mort un certain nombre de Galiléens, un accident urbanistique d’une tour qui s’écroule et entraîne des victimes. Ce ne sont donc pas les événements en eux-mêmes qui sont significatifs, mais le regard que l’on porte sur eux.

En effet, à l’époque de Jésus, la croyance populaire liait le malheur au péché de ceux qui étaient éprouvés. Jésus s’inscrit en faux face à cette interprétation et précise que le malheur est un signe des temps pour tous, et pas le signe d’une culpabilité particulière. Ceux qui souffrent ne sont pas plus pécheurs que les autres, ceux à qui il arrive un malheur ne sont pas plus condamnables que ceux qui ont été épargnés. C’est justement pour cela que le Christ interpelle ses auditeurs : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que vous ? » Il leur montre que la relation entre faute et châtiment n’est pas mathématique, qu’on ne peut pas mesurer la culpabilité d’une personne selon la gravité des malheurs qui viennent le frapper. Et nous ? Est-ce que nous considérons la justice divine comme un algorithme qui distribue automatiquement récompenses et châtiments ? Comme le passage de la guérison de l’aveugle-né (cf. Jn 9,1-3), le texte de l’évangile de ce dimanche nous fait comprendre que la souffrance ici-bas n’est pas la stricte rétribution du péché. Plutôt que d’y voir une punition divine, nous devons la prendre comme un signe de la fugacité de la vie humaine et un appel urgent à la conversion. Le pardon de Dieu est ouvert à tous, personne n’est irrécupérable quel que soit son péché, mais si nous renvoyons toujours à plus tard le temps de notre conversion nous pourrons faire face à une surprise désagréable.

La parabole du figuier stérile par laquelle Jésus conclut son appel à la conversion évoque la patience de Dieu envers tous les hommes. Dieu espère envers et contre tout la repentance du pécheur. Il lui accorde du temps supplémentaire pour se convertir et porter du fruit. Toutefois, la patience de Dieu ne signifie pas laxisme ou apathie. Nous ne devons pas abuser de la miséricorde de Dieu, car il ne renvoie pas indéfiniment le moment de rendre les comptes. S’il nous tend sans cesse la main, sans se décourager de nos péchés à répétition et de nos lenteurs à prendre enfin la décision de changer, n’allons pas penser qu’il soit indifférent. Les événements et catastrophes de l’humanité devraient nous amener à comprendre que le temps pourrait avoir le dessus sur notre insouciance.

En effet, depuis tant d’années que nous sommes nourris de la Parole de Dieu, que nous sommes unis au Christ ressuscité par notre communion aux sacrements, depuis tant d’années que nous recevons toutes sortes de grâces, quels fruits portons-nous ? Le Christ, devant cet arbre stérile ordonne qu’il soit coupé. Alors le vigneron intercède pour avoir une année de sursis, une saison supplémentaire, une dernière chance pour produire du fruit. L’invitation pressante du Christ dans cette parabole, c’est de savoir profiter du sursis qui nous est donné, pendant qu’il est encore temps. C’est aujourd’hui qui compte, demain risque d’être trop tard. Le présent carême serait-il pour nous ce temps opportun ?

Sœurs et frères en Christ, nous bénéficions d’une année de plus, d’un carême de plus pour regarder notre vie, mesurer les fruits que nous avons pu porter, mesurer aussi ceux que nous n’avons pas portés, et enfin accepter de nous convertir pour ne pas subir le sort de ce figuier stérile dont le massacre des Galiléens et l’accident de la tour de Siloé étaient pour nous avertir de vivre autrement.

Seigneur, donnes-nous de savoir mettre à profit le sursis accordé chaque jour par ta bonté pour la conversion que tu espères de nous.

             Amen.