Par Franck GACOGNE

Matthieu 6, 24-34

« Qu’est-ce qu’on mange ? » Quels sont les parents qui n’ont jamais entendu cette question de la part de leurs ados ayant peur de manquer ? « Qu’est ce que je vais me mettre ? » Qui, d’entre-nous, inquiet, ne s’est jamais formulé cette réflexion à la veille d’un entretien d’embauche, d’un rendez-vous amoureux, ou d’une soirée avec des amis ? L’évangile de ce jour nous le dit trois fois : « Ne vous faites donc pas tant de souci, la vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture et le vêtement ? » Jésus ajouterait très certainement aujourd’hui : « ne vaut-elle pas plus que de posséder la dernière tablette numérique sur le marché, ou la dernière marque de vêtement à la mode ? ». Car telle est la question que Jésus nous pose dans cet évangile : il nous invite à repérer, et à dissocier dans notre vie l’essentiel du secondaire, et surtout ensuite de nous demander si ce qui est secondaire n’a pas pris le dessus au point d’en être inquiet, ou souvent tourmenté.

Vous avez remarqué dans ce passage, Jésus emploie deux binômes : « Dieu et l’argent » d’un côté, « les petits soucis quotidiens et la vie » de l’autre. Jésus ne laisse pas entendre qu’il ne faut pas s’occuper des soucis quotidiens, comme s’il nous appelait à une insouciance totale, à une confiance absolue en la providence divine, comme si Dieu allait pourvoir à tous mes besoins sans que je n’aie à m’inquiéter de rien. Non, bien sûr, nous le savons bien. L’évangile sais que nous peinons chaque jour, et certains beaucoup plus que d’autres : « à chaque jour suffit sa peine ». Jésus ne nous invite non pas à tout laisser de nos responsabilités, mais plutôt à faire de notre mieux ce que nous avons à faire, mais sans nous inquiéter outre mesure du résultat. Jésus nous invite à croire que lui-même prend sa part dans l’accompagnement, dans la croissance de ce que nous mettons en œuvre quand nous agissons pour plus de justice.

Je crois que Jésus veut nous dire aussi que le plus essentiel ne s’achète pas : la vie, les relations vraies, Dieu… et c’est cela qui est à la racine, et je crois la source de toute dignité, c’est cela qui engendre le bonheur paradoxal des béatitudes. Jésus nous mets donc en garde contre l’argent quand celui-ci devient une idole, c’est-à-dire quand nous avons l’illusion qu’il puisse acheter même cet essentiel. « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’argent » Il nous invite à servir « le royaume de Dieu et la justice », cela veut dire que ma vie, ma relation à Dieu grandira dans la mesure où je me soucierai moins de moi-même et de mon confort, que de la vie, du besoin, de l’espérance de mon prochain. Jésus nous invite à rechercher et à mettre en œuvre ce qui est juste, à donner de l’amour tous les jours à ceux qui nous entourent… Et mon argent, vous en conviendrez, est bien incapable de le faire à ma place, il ne peut au contraire que contribuer à m’en détourner, ou alors à n’être solidaire que par procuration.

A aucun moment, Jésus maudit ou rejette l’argent pour lui-même, il nous invite seulement à le mettre à sa juste place, c’est-à-dire à le considérer comme un moyen et non comme une fin, on se sert de l’argent, mais jamais on ne le sert.