Jean 3, 14-21

Par Eric de NATTES

Le serpent de bronze

Avec la Croix, ce qui est montré, est difficile à comprendre. Ce que nous voyons, c’est d’abord le pouvoir des hommes qui ont condamné à mort. L’Empire Romain, Pilate, les Grands-Prêtres du Temple, les autorités religieuses… bref, tous ceux qui sont persuadés d’avoir le pouvoir puisqu’ils peuvent condamner à mort. Et nous voyons un homme désormais cloué sur la Croix, humilié, réduit à l’état de criminel. On peut maintenant rire de lui, lui cracher dessus – on ne s’en privera pas – et bien voir que sa vie a été un échec et qu’il a été un doux rêveur de penser qu’il allait changer quelque chose au monde. Les hommes de pouvoir ont toujours le pouvoir. Mais lequel ?

Il y a un autre regard, celui de Dieu, et alors, ce qui est montré sur la Croix est tout différent. Regardez ces hommes dont le pouvoir ultime est de faire mourir. Ce sont eux qui sont déjà morts. Morts en eux-mêmes. Ils sont comme des morts vivants qui continueront de donner la mort. Regardez celui qu’ils ont condamné. Il a toujours été proche de la vie menacée pour la relever. Ils sont aveuglés et ne voient pas que c’est lui qui est vivant. Oui, il va mourir physiquement – ils l’ont condamné – mais sa personne, elle, est vivante et le restera. La vie est vivante en lui. La vie est morte en eux. Oh, ils survivront encore quelques années. Et tout sera mort d’eux-mêmes. Lui ne condamne pas, il relève, ou, il le dit autrement, il ‘’sauve’’. Voilà pourquoi St Jean va faire dire à Jésus : ‘’il faut que le fils de l’homme soit élevé’’ ! Mais en quoi être élevé sur un instrument de torture, une Croix, c’est devenir glorieux, c’est être ‘’élevé’’. Bien sûr, ça ne l’est pas si vous ne regardez que la défaite dans le regard des puissants ; que vous ne regardez que l’humiliation dans le regard de ceux qui ricanent pour se faire croire qu’ils sont du côté des puissants. Alors qu’ils ont eu peur de cet homme et que leur seule réponse face à leur peur a été de le tuer.

Mais, mais si vous savez voir l’amour qu’il faut, la force qui est en lui, pour rester libre (ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne), endosser la souffrance et l’humiliation, et continuer d’aimer, au cœur de la défaite, de l’échec, de l’horreur, alors là, vous commencerez tout juste à comprendre ce que peut vouloir dire que Dieu nous aime. Quand tout réussissait et que Jésus guérissait, libérait, pardonnait… il était facile de voir l’amour à l’œuvre. Mais maintenant, dans l’échec, à l’heure de la mort, au moment de la déroute, quand tout le monde le fuit… Là, nous ne voyons plus ce que St Jean veut nous montrer.

Car désormais c’est sa propre vie qui est menacée, condamnée. Plus personne ne peut rien pour lui. Sinon les conseils habituels : t’enfuir, t’échapper, composer avec tes ennemis. Il ira jusqu’au bout, sans condamner. Alors c’est bien désormais dans les mains du Père qu’il va remettre sa propre vie : dans la détresse, dans l’angoisse même, mais dans un sursaut de confiance, de foi ! ‘’Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font (aimez vos ennemis et priez pour eux) ! En tes mains, je remets mon esprit.’’

Voir cela en regardant la Croix, le comprendre au fond de soi, être tellement touché que parfois les larmes peuvent jaillir, alors pour St Jean, c’est cela : ‘’avoir foi’’. C’est cela : ‘’croire’’. Si on l’accueille alors le cœur peut changer. On peut commencer à voir où est la vie véritable, la vie que St Jean appelle : ‘’la vie éternelle.’’ Qu’il peut se mettre à regarder la réalité autrement. À mieux percevoir ce qu’est le vie véritable, ce que St Jean appelle ‘’la vie éternelle’’. Pas une survie après la mort. Mais une vie qui peut commencer maintenant et que nul ne pourra désormais tuer. Une vie qui sera toujours renaissante, ressuscitée.

Pour St Jean, il n’y a pas de jugement comme on le représente habituellement : une balance qui pèse les bonnes et les mauvaises actions. C’est enfantin ! Le jugement, il est dans le cœur de chaque homme. Celui qui va vers la vie en regardant la Croix : celui-là a la vie en lui. Celui qui se détourne, qui ricane et insulte : celui-là, la mort est déjà en train de l’envahir. C’est cela le jugement pour St Jean.

Dieu demande sans cesse à l’homme : choisiras-tu la vie ou la mort. Mais quelle vie ?

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