Par Franck GACOGNE

Matthieu 1, 1-23

En tant que parents avec vos enfants, je suis sûr qu’il vous arrive souvent de faire des remarques comme : « mais arrête donc, tu ne vois pas que ça déborde, tu ne crois pas qu’il y en a assez maintenant » ou encore « Fais attention, tu en mets plein à côté ! », que ce soit à la cuisine, dans la salle de bain ou dans le jardin. En générale, ces remarques sont bien sûr justifiées, parce que vous avez le souci de leur éducation, de leur apprendre à ne pas gaspiller, à économiser. Mais voilà qu’à l’inverse, Jésus dans cette parabole veut nous délivrer un tout autre message : celui de la profusion, de l’abondance, du débordement. Cela ne veut pas dire que Jésus encourage au gaspillage : non, lors de la multiplication des pains, il demande à ce que tous les restes soient ramassés dans des corbeilles. Mais par contre, quand il s’agit de semer et plus particulièrement de semer la Parole de Dieu, alors là il n’y a plus de limites.

Je crois que le cœur du message de ce texte, c’est l’abondance. Dieu se donne avec une abondance sans mesure. Il sème à tout vent, il ne semble pas se préoccuper de la récolte futur, ni de savoir si ce qu’il a semé a débordé les limites de son terrain, de son chez lui. Le geste du semeur est plus large que la terre qui récolte sa semence. Il ne calcule pas. Il ne cherche pas à savoir à l’avance si tel ou tel terrain risque d’être moins productif qu’un autre. Non, il sème, il jette la semence à tout vent comme l’Esprit souffle où il veut, il répand sa Parole sur toute la terre, sur toutes les terres, tous les terrains (différentes générations, cultures, origines, milieux sociaux) sans aucun préjugés. Car en effet, Jésus compare le grain à la Parole. Le semeur, c’est Dieu qui parle, et Jésus ne s’en prive pas, parce qu’il souhaite que la Bonne Nouvelle soit répandue partout et pour tous. Il ne cherche pas à la donner uniquement là où elle a le plus de chance de germer et de porter du fruit. Non, il donne sa chance à tous, et tous en bénéficient. Dieu n’a pas de préjugés. La Parole est donnée à tous et d’ailleurs dans le texte tous la reçoivent même si c’est d’une façon très brève, elle n’est jamais gâchée.

Aujourd’hui, la Parole de Dieu n’a pas d’autres moyens pour être semée que nos lèvres et nos mains. St Paul nous prévient « à semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement on récolte largement » (2 Co 9, 6). Dans notre vie de chrétien, il arrive qu’on veuille se limiter dans notre témoignage. Entre le prosélytisme et le mutisme n’y a-t-il pas une voie à emprunter qui est celle d’un témoignage joyeux et ordinaire de ce que cette Bonne Nouvelle de l’évangile produit en nos cœurs. Elle nous réjouit, elle donne du sens à notre vie, n’est-ce pas ? Nous venons d’ailleurs nous en nourrir le dimanche. Ne peut-elle pas faire de même pour quelqu’un d’autre qui n’est pas là ce matin ? Et qui donc le lui permettra ? Il arrive que, par respect dit-on, on ne dise jamais rien de nos convictions religieuses en dehors d’une église. Mais qui respectons alors ? Ni cette Bonne Nouvelle dont je me crois alors propriétaire, qui est mise sous le boisseau (Mt 5, 15) et dont je décide d’arrêter la course ; ni la personne que je rencontre et dont je juge a priori qu’elle ne pourrait la recevoir. Que certains chrétiens, messagers hier ou aujourd’hui n’aient pas su être témoin de la foi d’une manière appropriée ne retire en rien la justesse et l’universalité à laquelle le cœur du message, l’évangile est destiné. La vie est un risque, nous pouvons mal faire, mais la parabole du semeur nous invite à la suite de Jésus à prendre ce risque et à semer largement.

Je termine simplement par cet infatigable témoin de l’évangile qu’est Paul qui disait : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16) nous invitant à ne pas éteindre l’Esprit (1 Th 5, 19). Voici ce qu’il écrit dans sa lettre aux romains : « Comment invoquer le nom du Seigneur, si on n’a pas mis sa foi en lui ? Comment mettre sa foi en lui, si on ne l’a pas entendu ? Comment entendre si personne ne proclame ? Comment proclamer sans être envoyé ? Il est écrit : Comme ils sont beaux, les pas des messagers qui annoncent les bonnes nouvelles ! » (Rm 10, 14-15) Voilà pourquoi la messe se termine par un envoi : « Allez dans la paix du Christ », pour l’annoncer et pour en vivre. Amen