Par Eric de NATTES

Marc, 5, 21-43

La fille de Jaïre et la femme hémorroïsse

Deux récits de guérison/résurrection enchâssés en un seul. Aller par-delà le miracle qui peut émerveiller ou gêner, pour comprendre le signe. Un miracle peut en cacher un autre, dit autrement !

Une femme qui souffre depuis 12 ans de pertes de sang abondantes ; elle est donc frappée d’impureté rituelle ! Elle n’a pas le droit de toucher quelqu’un. Perte de sang, signe de mort, de la vie qui s’écoule hors de soi, et, en conséquence, mort sociale par l’impureté rituelle. La foule, ici, lui permet ce toucher, incognito. C’est étonnant ! Un toucher, qui est normalement le sens de la plus grande proximité (bien plus que la vue ou l’audition), mais qui n’est pas sollicité ni accordé (comme souvent dans les guérisons que Jésus opère), mais comme volé, et que Jésus ne remarque que par ce qu’il sent ‘’sortir’’ de lui, une énergie, une puissance. Comme si la foi, ici, sollicitait la puissance qui est en Jésus à son insu, sans que sa volonté soit en cause. Uniquement par la puissance de la foi de la femme.

Pourquoi la foi cachée de cette femme doit-elle sortir de l’anonymat de la foule ? Pour que toute la vérité soit dite ? Mais quelle vérité ? Peut-être bien celle qui la fait advenir comme un sujet, comme une personne authentique ? Comment ? En sollicitant sa parole pour qu’elle raconte son récit. En passant d’un contact anonyme – un toucher comme volé – à une relation véritable, consentie par les deux. En entendant de la part de l’autre la parole de réconfort (ton supplice est fini), l’attestation de sa guérison, et plus que tout, peut-être, le sens qui est donné à son geste et ses effets thérapeutiques (ta foi t’a sauvée)… bref, bel et bien faire advenir dans cette guérison un sujet, une personne véritable, désormais en relation avec sa propre vie (elle peut la raconter, la verbaliser, la faire entendre) et en relation avec son Dieu (ta foi en Lui te sauve, va en paix). La vérité, toute la vérité, n’a rien à voir ici avec celle d’un enquêteur, mais bien plutôt celle d’un dévoilement, du passage, d’une pâques, d’une renaissance, d’un individu anonyme dans la foule à une personne, devenue vraiment vivante, dont la vie ne s’écoule plus hors d’elle en l’affaiblissant jusqu’aux portes de la mort, mais une personne désormais en vérité, en relation, sans crainte d’impureté. À méditer !

Dans le second volet, celui de la réanimation/résurrection de la fille de Jaïre, une jeune fille de 12 ans, donc entrant, elle, dans la puberté, et dont le corps va pouvoir donner la vie par le sang (la notation du chiffre 12 dans les 2 cas ne peut être accidentelle). On emploie d’ailleurs deux mots différents : alors qu’on nous dit qu’une enfant est allongée, morte, c’est une jeune fille que Jésus invite à se lever pour devenir vivante. Une pâques, un passage doit se vivre ici encore, et le père, comme la mère, doivent y consentir. Notons que la foule qui avait permis l’anonymat de la femme, semble ici enfermer le chef de synagogue dans sa fonction. Il est comme ficelé par cette foule qui raille maintenant les paroles de Jésus et qui rend vaine la démarche qu’il avait entreprise. La foule qui permettait l’anonymat, mais dont on doit sortir pour devenir une personne, est ici un obstacle. Jésus d’ailleurs les chasse, ‘’tous’’, comme il le fait avec les démons, puisqu’ils empêchent, ici, en cet instant, la vie, l’action de Dieu. Une fois l’obstacle levé, émerge alors la personne véritable, dans l’intime, dans le secret : le chef de synagogue est maintenant un père, avec la mère, autour de leur enfant, ayant foi. Il y aurait tant à méditer sur ce chemin, de la fonction, de l’extérieur, de la pression de cet extérieur, vers l’intime, la vérité de l’être.

La foi qui émerge en une personne pour donner vie, semble bien être l’élément central de cet épisode évangélique. Qu’en retenir ? Celui qui ‘’a’’ la foi comme on dit – ce qui pourrait figurer une image statique de quelque chose qu’on possède – est en réalité celui qui chemine, qui est en chemin vers la vie, alors qu’il a désormais une vraie conscience de la fragilité de la vie ; il peut être interrompu sur ce chemin par des obstacles intérieurs ou extérieurs ; il doit prendre patience ; il est sollicité pour dire, pour raconter son chemin, le mettre en récit, le recueillir donc, afin qu’il soit entendu et attesté par un autre, alors advient le sujet qui a foi, dont la vie est liée à Dieu, une vie à la fois révélée, relevée, et donc ressuscitée.