par Franck GACOGNE

Jean 13, 31-35

C’est le dernier repas de Jésus dans l’Evangile de Jean. Jésus vient de laver les pieds de ses disciples pour leur montrer qu’il était venu comme serviteur et pour les inviter à se mettre au service les uns des autres. La phrase centrale de l’évangile que nous entendons aujourd’hui, nous la connaissons bien : « comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres ». Et Jésus donne ce commandement nouveau entre l’annonce de la trahison de Judas qui quitte les lieux, et l’annonce du reniement de Pierre juste après ce passage. Entre ces deux annonces douloureuses qui vont l’abandonner, Jésus leur dit encore que sa vie leur est donnée. Cette Phrase : « je vous demande de vous aimez les uns les autres, d’aimer votre prochain comme vous même », c’est l’une des plus connue des évangiles. Mais ce ne sont pas les évangélistes qui l’ont inventé, ni Jésus d’ailleurs. Rien de bien nouveau ce commandement. Il existait avant Jésus dans l’ancien Testament, mais noyé au milieu de multiples autres prescriptions, il existait aussi dans d’autres textes qui ne sont pas de la Bible. C’est un commandement, ou une ligne de conduite qui est énoncé dans quasiment toutes les religions, toutes les fraternités, c’est le moteur de très nombreuses associations, il est même arrivé qu’il soit récupéré lors d’une campagne politique. Et pourtant, Jésus ose affirmer que ce commandement là de nous aimer les uns les autres est nouveau.

Et bien oui, il est nouveau en Jésus parce qu’il y a ce « comme » : « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres ». Ce « comme » ne signifie pas qu’il faille imiter le Christ comme un modèle dont il faudrait reproduire fidèlement les faits et gestes, ce « comme » signifie que Jésus est le fondement sur lequel nous pouvons nous appuyer. Aimer comme Jésus, c’est-à-dire en sachant puiser en lui, en sachant compter sur lui. Ce « comme » indique un préalable, un référentiel, qui oblige tout disciple désirant vivre ce commandement à commencer par lire l’Evangile, pour précisément y découvrir comment Jésus nous aime. Aimer comme Jésus, c’est pouvoir dire à la manière de Paul : « ce n’est plus moi qui vit et qui agit, c’est le Christ qui vit et qui agit en moi » tout en étant le plus libre des hommes. Aimer comme Jésus, ce n’est pas rechercher la gloire des hommes, mais la recevoir de Dieu. Je crois que c’est le sens de ce passage sur la gloire juste avant le commandement de l’amour. Il y a une sorte d’intimité entre Jésus et son Père au moment où il s’apprête à traverser les épreuves de la passion. Car cette gloire, c’est tout le poids de l’amour. Si le Père glorifie son Fils, c’est parce que Jésus est vraiment celui qui nous révèle l’amour du Père. Souvent, nous disons que nous reconnaissons les vrais amis dans les moments d’épreuves : ce sont ceux qui ne nous ont pas lâchés, et parfois ils ne sont pas nombreux. La manière d’aimer de Jésus c’est celle-là : celle de ne pas nous lâcher. Jésus est allé jusqu’au bout de l’épreuve, jusqu’au bout de la croix, ni par faiblesse, ni par goût de la souffrance, mais seulement parce que sa logique d’amour la conduit jusqu’à cette extrémité. Et même s’il peut nous arriver comme Pierre et les autres disciples de ne plus être là, de fuir les épreuves et le danger, il vient nous relever : « m’aimes-tu, tu sais que je t’aime », et nous envoyer en mission.

Comment ce passage se termine-t-il ? : « ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples… » c’est d’aller à la messe tous les dimanche ! Jésus ne dit pas cela. Bien sûr que c’est important à condition que notre pratique eucharistique, notre pratique liturgique soit confirmée par notre pratique de l’amour fraternel, sinon elle est un contre témoignage, elle n’est qu’un cuivre qui résonne. « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Qui sont les autres que je peux aimer, c’est un peu flou. Le prochain que je peux aimer, ce n’est pas la prochaine personne que je déciderai de rencontrer, (cela risque de ne jamais arriver) le prochain, c’est celui dont je suis le plus proche : mes parents, mes enfants, mon conjoint, mes amis, mes collègues, mes voisins. Jésus ne choisit pas ceux qu’il voudrait aimer. Il lave les pieds de tous ses disciples, y compris ceux de Pierre et de Judas.

Nous célébrons l’eucharistie pour nous nourrir de la Parole de Dieu et du pain de vie. Non pas pour nous mettre à part, ni pour former un club d’initié ou de gens qui savent, mais pour puiser à la source, et pour manifester ce Christ Bonne Nouvelle dans nos actes quotidiens. Avec ce commandement nouveau d’aimer comme Jésus, un champ de liberté inouï nous est ouvert. Alors nous pouvons accueillir les recommandations d’un saint Augustin : « aimes, et ce que tu veux, fais-le ! », ou bien d’un frère Roger de Taizé : « Aimes, et dit le par ta vie ». Amen.