Par Franck GACOGNE

Jean 6, 51-58

Depuis le début du mois, la liturgie du dimanche nous donne d’écouter et de méditer le discours de Jésus sur le pain de vie. C’est le chapitre 6 de l’Evangile de Jean qui commence par la multiplication des pains, Jésus qui marche sur la mer, puis ce long discours dans la synagogue de Capharnaüm. Un discours qui va crescendo dans la révélation que Jésus fait de lui-même : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel. » Dans cette affirmation très forte et puissante, voire scandaleuse pour les juifs qui l’écoutent, il y a tout le mystère de l’incarnation développé dans l’évangile de Jean, et aussi tout le mystère de l’Eucharistie. Vous savez que l’évangile de Jean n’évoque ni la naissance de Jésus (ou son enfance), ni son dernier repas ; parce que dans ce discours là et dans le prologue, l’incarnation et l’Eucharistie sont exprimés comme en filigrane.
« Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ». En commençant par « Je suis », Jésus se place d’emblée dans la tradition du Dieu unique, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui se présente ainsi à Moïse au buisson ardent : « Je suis ». Ainsi Jésus signifie sa présence et sa permanence à travers le temps et les âges, mais il la signifie toujours au présent : « Je suis » ou bien avec cette formule que nous connaissons aussi : « je suis celui qui est, qui était et qui vient ». Cette incarnation dans le temps : « je suis le pain descendu du ciel » a une permanence et une présence bien antérieure. C’est le prologue de Jean au chapitre 1 : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu (cette parole c’est : « je suis… ») et la Parole s’est faite chair, et elle a demeurée parmi nous » : je suis le pain descendu du ciel. Faisons le parallèle avec le chapitre 6 où Jésus se qualifie comme le pain « vivant » descendu du ciel et qui nous est donné. Jésus nous offre bien du pain, mais en nous signifiant que c’est sa vie qui nous est donnée : dans l’eucharistie, c’est du pain que nous mangeons, c’est du vin que nous buvons, mais par ce geste, c’est le Christ, le Dieu vivant que nous incorporons dans notre vie. Le verbe incorporer prend ici tout son sens. Prises à la lettre, les paroles de Jésus peuvent nous sembler scandaleuses. En tout cas, si elles ne font plus d’effet sur nous, elles ont fait des ravages dans l’esprit des juifs qui écoutaient Jésus : « Comment cet homme là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Sachons associer l’élément, et sa signification profonde : Jésus lui-même leur donne bien du pain à manger et du vin à boire, mais par l’offrande de sa vie, il transfigure ces dons pour l’éternité car pour toujours dans l’eucharistie, ce pain et ce vin, c’est son corps et son sang, toute sa vie qui nous est donnée.
Dans cette dernière partie du discours, nous avons l’explication de ce don, mais aussi sa raison : « pour que vous demeuriez en moi, et que moi je demeure en vous ». Le verbe « demeurer » est magnifique, il insiste lui aussi sur la durée, la constance. Demeurer, ce n’est pas passer furtivement à la va-vite. Demeurer, c’est s’enraciner, expérimenter, persévérer. Jésus n’a qu’un seul désir qu’il exprime à chacun d’entre nous : « j’ai l’immense désir de demeurer en toi pour que par la force de vie que je t’offre, tu puisses réciproquement demeurer en moi ». Communier, c’est laisser le Seigneur demeurer en nous et nous en Lui. Quelle merveilleuse relation d’amour. Mais l’amour reçu n’a qu’une seule destinée : être partagé, offert aux autres.
Je ne sais pas si certain d’entre-nous entreprennent de faire un régime, c’est une question qui, par délicatesse ne se pose pas ! On se prive, ou on évite tel ou tel aliment dans le but de perdre quelques kilos. Dans ce cas là, il faut se priver pour perdre ! Et bien l’eucharistie, c’est je dirai comme un contre-régime, car c’est la démarche est inverse. Jésus nous invite à prendre son corps, à communier sans modération non pas pour perdre quelque chose, mais au contraire pour augmenter, pour grandir, en amour dans notre quotidien, pour incorporer le Christ dans notre vie et en rendre témoignage. Il n’y a pas si longtemps dans l’Eglise, on restreignait l’accès à la communion. Chacun devait estimer en conscience s’il la méritait. Je ne suis pas sûr que cette recommandation soit fidèle à l’évangile, car c’est précisément parce que personne n’est d’emblée digne de recevoir le Seigneur (et nous le disons tous avant d’aller communier) que nous approchons de l’eucharistie pour en être vivifié et sanctifié. Avons-nous bien entendu le discours de Jésus : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. ». Nul ne peut être exclu de la vie que Dieu veut lui donner.
Seigneur, mets au fond de notre cœur, le désir de te recevoir dans notre demeure afin de demeurer en toi. Amen.