Par Franck GACOGNE

Matthieu 25, 31-46

Nous avons tous dans la tête des images, glanées au fil de nos visites, lors de vacances dans tel ou tel haut lieux du christianisme. Nous y avons vu, un peu dubitatif, un tympan, une tapisserie ou une peinture représentant « le jugement dernier » : à une époque où l’on cherchait à dissuader par la peur les chrétiens (c’est-à-dire tout le monde) d’aller rôtir en enfer, pas sûr que les visiteurs d’aujourd’hui y trouvent une quelconque incitation à devenir chrétien !

Un Christ présenté sous les traits du juge impitoyable, qui semble dominer de haut tout l’univers, roi de l’univers disons-nous aujourd’hui, et qui vient séparer au jugement dernier les bons des méchants. Voilà une représentation manichéenne très sombre dont nous avons parfois du mal à nous défaire, et l’évangile de ce jour ne nous y aide pas.

Pensons-nous que ce soit la ligne de fond de tout l’Evangile ? Je ne crois pas, parce que « évangile », cela veut dire « Bonne Nouvelle ». Où est-elle alors ? Voilà pourquoi ce texte demande un peu de recul. Ce qui est associé au « jugement » dans l’évangile signifierait en fait « mise en lumière ». Au contraire de ce qui semble sombre et lugubre à la première lecture, le jugement est une mise en lumière de nos vies. Dieu projette une lumière, sa lumière, non pas pour qu’il puisse mieux nous voir, mais pour que par sa lumière d’amour, nous puissions mieux nous regarder. Je n’invente rien, écoutons l’évangile de Jean (3, 19-21) « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé […] Et le jugement le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leur œuvres étaient mauvaises… ». Il arrive que les hommes préfèrent les ténèbres et du coup se mettent eux-mêmes dans l’obscurité. Qu’avec cet éclairage, nous n’ayons plus de résistance à prononcer cette phrase pourtant difficile du credo : « il viendra juger les vivants et les morts » parce que ce jugement exige l’engagement et l’exercice de notre liberté.

Les disciples qui questionnent Jésus n’ont pas du tout compris qu’ils étaient créés libres et responsables, car leur question porte sur la date : ils veulent savoir quand et comment sera la fin. C’est une préoccupation légitime, mais curieusement, lorsque nous nous interrogeons sur ce que sera la fin des temps, le Seigneur nous renvoie à l’aujourd’hui : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Et si la fin des temps n’était pas la décision souveraine d’un juge suprême et impitoyable ? Car l’Evangile semble nous indiquer que cette fin est dès aujourd’hui entre nos mains. Elle dépend de notre foi, et de la façon dont nous la manifestons au quotidien avec les plus démunis. L’homme est devant son Seigneur chaque fois qu’il est devant son prochain. J’ai bien la citation suivante : « Ce juge qu’ils croiront voir pour la première fois, les hommes l’auront rencontré depuis longtemps, tout au long de leur vie de tous les jours ».

Ce qui est intéressant, c’est que ce juge, c’est le petit, c’est le faible : Jésus aime nous placer devant des paradoxes. Si je dis : « j’aime Dieu ! » ou bien : « je crois en Dieu ! ». Très bien, mais qui suis-je pour en être ainsi persuadé ? Dieu n’est-il pas le mieux placé pour juger si je l’aime bien ou mal ? Eh bien justement c’est parmi les petits qu’il s’est placé pour en juger. Nous fêtons aujourd’hui le Christ roi de l’univers, et l’évangile nous indique où le trouver : en venant habiter parmi les plus petits, comme à Noël à la crèche, il est foyer de la lumière qui éclaire la vie de ceux qui s’approchent, en prenant place parmi eux, le Christ les relève, il les fait roi ! On n’a jamais fait de Dieu plus inattendu et plus proche de l’homme que celui-ci : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».

Joseph MOINGT dit ceci : « La grande révolution religieuse accomplie par Jésus, c’est d’avoir ouvert aux hommes une autre voie d’accès à Dieu que celle du sacré, c’est la voie profane de la relation au prochain ».