par Franck GACOGNE

Mt 13, 1-23

Avec les enfants en tant que parents, je suis sûr qu’il vous arrive souvent de faire des remarques comme : « mais arrête donc, tu ne vois pas que ça déborde, tu ne crois pas qu’il y en a assez maintenant » ou encore « Fais attention, tu en mets plein à côté ! », que ce soit à la cuisine, dans la salle de bain ou dans le jardin. En générale, ces remarques sont bien sûr justifiées, parce que nous avons le souci de leur éducation, de leur apprendre à ne pas gaspiller, à économiser. Mais voilà qu’à l’inverse, Jésus dans cette parabole veut nous délivrer un tout autre message : celui de la profusion, de l’abondance, du débordement. Cela ne veut pas dire que Jésus encourage au gaspillage : non, lors de la multiplication des pains, il demande à ce que tous les restes soient ramassés dans des corbeilles. Mais par contre, quand il s’agit de semer et plus particulièrement de semer la Parole de Dieu, alors là il n’y a plus de limites.

Je crois que le cœur du message de ce texte, c’est l’abondance. Dieu se donne avec une abondance sans mesure. Il sème à tout vent, il ne semble pas se préoccuper de la récolte futur, ni de savoir si ce qu’il a semé a débordé les limites de son terrain, de son chez lui. Le geste du semeur est plus large que la terre qui récolte sa semence. Il ne calcule pas. Il ne cherche pas à savoir à l’avance si tel ou tel terrain risque d’être moins productif qu’un autre. Non, il sème, il jette la semence à tout vent comme l’Esprit souffle où il veut, il répand sa Parole sur toute la terre, sur toutes les terres, tous les terrains (différentes générations, cultures, origines, milieux sociaux) sans aucun préjugés. Car en effet, Jésus compare le grain à la Parole. Le semeur, c’est Dieu qui parle, et Jésus ne s’en prive pas, parce qu’il souhaite que la Bonne Nouvelle soit répandue partout et pour tous. Il ne cherche pas à la donner uniquement là où elle a le plus de chance de germer et de porter du fruit. Non, il donne sa chance à tous, et tous en bénéficient. Dieu n’a pas de préjugés. La Parole est donnée à tous et d’ailleurs dans le texte tous la reçoivent même si c’est d’une façon très brève, elle n’est jamais gâchée.

Je pense particulièrement à des jeunes connu il y a de nombreuses années en pleine crise, rejetant tout ce qui touchaient de proche ou de loin à la foi chrétienne. Des jeunes dont j’aurais facilement dit alors qu’il était inutile d’y semer quoi que ce soit parce que leur cœur semblait bien empierré ou obstrué par des ronces ; mais des jeunes dont j’apprend aujourd’hui l’engagement, la prise de responsabilité et la capacité à témoigner d’un chemin de foi authentique. Dans la parabole, le semeur fait ce pari : celui d’un regard de confiance qui ne s’attristera pas si les fruits tardent à venir parce que tout aura été donné sans jamais que la liberté d’y répondre ne soit retiré, et un regard qui saura aussi se réjouir dès que ces fruits apparaîtront.

Est-ce qu’il ne nous est pas souvent arrivés dans nos groupes chrétiens de réfléchir, de discuter très longuement, de peser le pour et le contre sur la façon d’aborder quelqu’un afin de lui proposer de rejoindre un groupe de la communauté chrétienne, un temps de prière, l’inviter à partager la Parole ou venir à la messe… Cela nous tiraille intérieurement, cela nous fait hésiter : comment s’y prendre, oser quelle parole. Une fois la décision prise et le pas franchis, combien de fois à notre grande surprise, nous avons eu un retour extrêmement positif et favorable à notre approche : un « merci », « oui bien sûr cela m’intéresse » rapide et spontané qui contraste tellement avec notre approche longue, hésitante et souvent tourmentée ! La Parole doit encore et toujours être proclamée aux hommes de tous les temps. Cette annonce, ces semailles, sont la mission de l’Eglise du Christ, donc de chacun d’entre-nous. A l’image du Maître, l’Eglise doit se montrer généreuse, aller semer partout où vivent les hommes, jusqu’aux extrémités de la terre. La « proposition de la foi » est de cet ordre là. C’est pourquoi, avant d’espérer du fruit, ne craignons pas de sortir pour semer. Amen.