par Franck GACOGNE

Jean 4, 5-42

        Voilà l’histoire d’une rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Pourtant vous me direz, rien de bien surprenant dans ce récit : l’extérieur d’une ville… un puits… le plein midi… Jésus assis, fatigué, assoiffé… une femme vient puiser de l’eau : quelle aubaine ! Des choses toutes simples de la vie quotidienne en somme… Ce n’est pas si sûr, car cela se passe en Samarie, alors que Jésus est juif lui. Cette femme est une samaritaine, et les Juifs ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains, ils ne peuvent pas se voir ! En plus de cela il est plutôt inhabituel de venir puiser de l’eau à l’heure la plus chaude de la journée ! Il se peut que cette samaritaine soit marginalisée, mal vue par son entourage c’est pourquoi elle choisi l’heure où elle est à peu près certaine de ne croiser personne. Mais voilà que Jésus se trouve là, et il fait preuve d’une liberté surprenante dans sa façon de se comporter avec les femmes de son temps. Au mépris des convenances qui ne permettent pas à un Juif de parler à un Samaritain, ni à un homme d’adresser la parole à une femme inconnue, Jésus va lui demander un service. Les conventions sont tombées, un échange, un dialogue vrai et profond devient maintenant possible.

        En entrant en relation avec la Samaritaine, dès le départ Jésus la considère avec respect. Ses paroles ne sont pas un ordre mais une requête. Il vient à elle les mains vides, en quête de quelque chose que elle seule est capable de lui donner. Jésus commence en s’abaissant, ce qui a pour conséquence de relever la femme. Par sa demande : « Donne-moi à boire », Jésus lui révèle sa dignité humaine : il a besoin d’elle, elle a quelque chose à lui donner. Nous le savons bien, aujourd’hui le drame et la plus grande détresse de ceux qui sont marginalisé c’est que personne ne leur dit : « j’ai besoin de toi ». Avons-nous souvent cette image insolite mais si puissante d’un Dieu qui a besoin de l’homme, besoin de chacun d’entre nous, d’un Dieu qui se met à nos pieds pour nous exprimer sa soif d’entrer en relation avec nous. « J’ai soif de toi ! » nous dit-il. Qu’avons-nous à lui donner si ce n’est comme la samaritaine de lui ouvrir notre cœur dans la confiance. Dans ce dialogue franc et vraie, Jésus va lui révéler la véritable source qui va désormais étancher sa soif de sens, il y a une juste réciprocité dans cet échange. Nous avons certainement là une excellente définition de la prière, c’est-à-dire pouvoir découvrir et exprimer à Dieu dans un échange sa soif, son désir le plus profond. Oser dire sa soif, son besoin de l’autre, ce n’est pas une attitude humiliante, mais d’humilité et de reconnaissance, c’est l’attitude même de Dieu.

        Voilà que la samaritaine va se mettre à désirer cette eau vive que lui propose Jésus : « Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. ». Mais la conversation va aller bien au-delà. En demandant à la samaritaine d’aller chercher son mari, Jésus va mettre en lumière sa vie, sa quête d’amour insatisfaite. Jésus ne reste pas superficiel, il va au fond des choses, il voit le cœur de cette femme et ses tourments. Et petit à petit, elle va reconnaître en lui le Messie. Et sans qu’il le lui demande, la femme va porter cette Bonne Nouvelle aux samaritains. Elle n’est plus porteuse d’eau, elle laisse la cruche près du puits, elle devient porteuse de la Bonne Nouvelle, la première évangélisatrice des samaritains. Grâce à cette femme, la Bonne Nouvelle sort du milieu juif et atteint les samaritains, c’est bien sûr la situation que les premières communautés chrétiennes sont en train de vivre au moment où l’évangéliste Jean écrit cette rencontre. S’étant abreuvée à la source d’eau vive, la samaritaine invite son peuple à venir s’y abreuver à son tour. C’est une appropriation pour une annonce. Finalement, il est là le sens du baptême qui nous envoie en mission, qui envoie chacun de nous en mission. L’Eglise, chaque baptisé est dans la situation de la samaritaine qui après s’être abreuvé du Christ revient au milieu des siens et dit : « J’ai vu le Messie ». Et à la fin, les gens disent : « Ce n’est pas à cause de tes dires que nous croyons mais parce que nous l’avons rencontré, nous le Messie ». L’évangéliste nous fait comprendre ainsi que le témoin que nous sommes appelés à devenir ne cherche pas à amener les autres à lui-même, mais uniquement à la source, au Christ. Et cela est très important, car c’est vraiment le signe du passage à une foi adulte, où l’on ne croit plus seulement sur la foi des autres, par confiance, par reconnaissance, ou peut-être parfois par obéissance ; mais on croit parce qu’on la découvert personnellement.

        Dans notre parcours de foi, nous avons tous eu des témoins sur notre route qui nous ont marqués, qui nous ont peut-être même appris à connaître, à reconnaître le Christ dans notre existence, qui nous ont permis d’expérimenter la joie de croire, la joie de se savoir aimer par un Dieu qui n’est qu’amour. Mais le jour où nous prenons conscience par nous-mêmes que cette foi est censée et qu’elle vivifie toute notre existence, alors nous pouvons dire comme les samaritains : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant ; nous l’avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde ».

        Que l’Eucharistie, nourrisse toute notre vie, qu’elle étanche notre soif, notre désir de Dieu. Amen