par Franck GACOGNE

Matthieu 2, 13-15.19-23

Jésus, Marie, Joseph ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, Jésus, Marie, Joseph, c’est une exclamation de stupeur, d’admiration ou bien face à la peur. On l’entend parfois chez certaines personnes. Ces trois noms leurs viennent aux lèvres presque inconsciemment. Jésus, Marie Joseph, c’est la sainte famille que toute l’Eglise nous propose d’honorer ce dimanche. Pour cela, nous venons de lire un passage de l’évangile selon St Matthieu. Il est très important de repérer où il se situe dans l’évangile. Juste avant ce passage nous sommes encore dans le contexte de la crèche, puisque dans les premiers versets du chapitre 2, c’est le récit de la visite des Mages que nous lirons dimanche prochain. Juste après notre passage au début du chapitre 3, nous découvrons Jean le Baptiste à l’âge adulte qui prêche dans le désert de Judée, donc 30 ans plus tard ! Il y a un saut immense qui se réalise dans cet évangile en deux phrases. Matthieu nous invite à méditer 30 ans de la vie de Jésus à travers un seul verset : « Joseph se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen ».

Pour moi, cela a toujours été un mystère et un étonnement : pourquoi les évangiles passent-ils sous silence trente années de la vie du Christ pour n’évoquer que les trois dernières ? Probablement parce qu’il s’agit sans doute pour Jésus d’une vie de famille ordinaire. Nous avons vite fait de vouloir l’idéaliser, de s’en faire une image enjolivée. L’évangile ne nous en dit rien. Il n’y a pas de raison que Joseph, Marie et Jésus aient échappés aux tourments des choix à faire, aux interrogations face à l’avenir, au défi de l’éducation… Si nous ne savons pas ce qu’ont été ces trente années, nous savons en revanche ce qu’elles permirent à Jésus de devenir : elles ont fait de lui un homme pétris de sagesse et d’intelligence, un homme imprégné des Ecritures, et prenant conscience d’une mission à accomplir qui le dépasse. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’étonnement de ses contemporains devant sa connaissance de la loi juive, sa façon de parler non pas autoritaire, mais avec autorité, l’étonnement de ses contemporains devant son observation méticuleuse de la nature qui vient toujours appuyer et éclaircir ses propos quand il leur parle en paraboles. Cette famille est pour Jésus un lieu de croissance, de développement de sa personnalité, le lieu d’une prise de conscience petit à petit de la mission qui lui est confiée, d’une découverte progressive de sa filiation divine. Elle se résume dans notre évangile en un nom de lieu : Nazareth. Matthieu ne se contente pas de nous dire que Joseph se retira à Nazareth, il nous affirme que Jésus est devenu le Nazaréen. C’est devenu pour Jésus comme un second nom. C’est dire combien il a pris corps avec ce lieu, avec cette terre, avec ses habitants qui font sa richesse, tant de personnes et de situations qui ont marqué son futur enseignement d’images, et enrichie sa vie de tant d’expériences et de convictions.

 Dans la bouche des pharisiens, la terre qui a vue grandir Jésus ne le mettait pas à son avantage. Depuis la Judée, Nazareth était considéré comme une bourgade de province médiocre dans la Galilée en grande partie païenne. Dans l’évangile de Jean, Nathanaël s’interroge non sans mépris : « De Nazareth ! Peut-il sortir quelque chose de bon ? » et Philippe de lui répondre tout simplement : « Viens, et tu verras. » Et quelques instants plus tard, Nathanaël le reconnaîtra Fils de Dieu et roi d’Israël, il deviendra son disciple.

Je crois que cette fête nous invite à regarder nos propres familles. Il est vrai qu’elles vivent parfois des tourments, des divisions, des divorces, des recompositions, la maladie… Ce sont des blessures qui peuvent avoir du mal à cicatriser. Mais dans toute situation, que chacun de nous puisse faire mémoire de ce qui a forgé ce qu’il est devenu, un lieu, des expériences, des rencontres, des personnes. Que nous puissions en rendre grâce comme nous y invite Ben Sirac le Sage dans la première lecture. Cette fête nous invite à méditer sur le temps et la croissance, sur le mûrissement humain et spirituel dont nous avons bénéficié et qui ne cesse de nous faire devenir ce que nous sommes : chrétien. Jésus est le Christ, c’est-à-dire le Messie, mais il l’est en étant incarné dans une famille dont l’évangile nous dit qu’ils ont été des réfugiés, des migrants de Judée en Egypte puis de retour en Galilée. Jésus est finalement d’un lieu qu’il n’a pas choisi : Nazareth, il est le Nazaréen. Que notre vocation à devenir toujours plus chrétien c’est-à-dire habitant du Christ ne nous désincarne pas de notre quotidien mais que nous puissions y repérer ce qui nous a fait grandir en sagesse et en grâce. Amen.