par Franck GACOGNE

Luc 19, 1-10

        Est-ce que vous connaissez le paralytique, la samaritaine, Lazare, les noces de Cana, Zachée… « Ah oui, Zachée, je connais, c’est celui qui monte dans l’arbre parce qu’il est trop petit pour voir Jésus ». Quand je rencontre des familles pour un baptême ou un mariage, c’est souvent ce qu’ils me disent, comme un lointain souvenir de leurs années de KT, mais un souvenir marquant tout de même. Ils ont dans la tête une image associée à cette rencontre : Zachée perché dans un arbre et Jésus qui l’interpelle, mais peu se souviennent de ce que cette rencontre a changé.

        Je vous propose de nous arrêter sur les regards qui sont évoqués de cette histoire. Il y a trois regards bien différents les uns des autres qui s’entrecroisent. Il y a tout d’abord le regard de la foule sur ce qui se passe. A la fin du chapitre 18, juste avant de rencontrer Zachée, Jésus croise un aveugle qui après cette rencontre retrouve la vue. Alors la foule qui entoure Jésus et qui a soif de merveilleux en est ravie, le texte nous dit : « voyant cela, elle célébra les louanges de Dieu ». Mais quand cette même foule voit Jésus s’intéresser à un publicain que les juifs considérait comme méprisable et hors la Loi de Dieu, son regard change du tout au tout : « voyant cela, tous récriminaient ». Voilà que tout à coup Jésus est regardé avec hostilité parce qu’il se démarque du groupe des « bien pensants » qui l’aurait volontiers récupéré à leur cause. Mais Jésus est bien au-delà du quand dira-t-on ou de la rumeur publique. Il ne cherche pas à s’attirer les honneurs où à entretenir des courtisans autour de lui. Ce qui l’importe, c’est de considérer tout homme personnellement comme un être unique, un être d’exception. Mais le regard changeant, ce n’est pas le propre de la foule qui suit Jésus. Il suffit d’un rien pour que mon regard sur celui que j’estimais, change soudainement quand j’apprends par la rumeur qu’il n’est pas aussi « bien » que je le pensais.

        Il y a ensuite le regard de Zachée. Son initiative manifeste beaucoup plus que de la curiosité. Il a un désir profond de rencontrer Jésus. En entendre parler ne le satisfait pas, « il cherchait à voir qui était Jésus » nous dit le texte. C’est-à-dire bien plus que voir un homme qui fait parler de lui, il veut le connaître. C’est un regard de désir qui exprime une soif profonde. Son regard peut nous interroger sur l’intensité de notre propre désir de connaître le Christ. Seulement voilà c’est celui qui voulait voir, presque incognito, qui est vu.

        C’est le troisième regard. Celui de Jésus sur Zachée. Un regard puissant, entier. Un regard qui le considère dans toute sa personne, non pas un regard accusateur, mais ouvert à l’inattendu. Jésus ne voit pas d’abord un pécheur public infréquentable – même si probablement ses vêtements de luxe ne devaient guère laisser de doutes sur ses activités – il voit un homme rempli du désir de le connaître. Alors, sans tarder, il l’appelle par son nom : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi ». Dans l’échange qui va suivre entre Jésus et Zachée, nous avons je crois l’une des meilleures explications de ce qu’est la conversion et le pardon de Dieu. Dans notre inconscient et peut-être dans ce que nous ont transmis nos parents ou nos grands parents, le plus souvent nous pensons que Dieu pardonne à condition que nous ayons d’abord reconnu nos fautes, notre péché. Mais pour Zachée, rien de tout cela : les événements se déroulent exactement dans le sens inverse ! C’est parce que Jésus s’invitent chez lui en lui offrant ainsi toute sa considération et son amour, que Zachée prend après conscience que sa vie est en complet décalage, et alors il prend l’initiative de se convertir. On ne comprend son péché qu’à partir du salut reçu. La conversion ne précède pas le pardon, elle en est la conséquence ! Voilà qui brouille peut-être tout nos schémas, mais c’est pourtant ce que les évangiles ne cesse de nous apprendre : quand Jésus rencontre la femme adultère, il lui dit d’abord : « Moi non plus, je ne te condamne pas », c’est le pardon exprimé, puis ensuite : « va et désormais ne pèche plus », c’est la conversion demandée. Ou encore avec la parabole du fils prodigue : alors que ce fils cadet voulait lui même s’imposer une période de pénitence en devenant serviteur de son Père, ce dernier le réintègre immédiatement comme fils et l’invite à fêter ce retour. L’histoire ne le dit pas, mais probablement qu’après un tel accueil il aura changé de vie.

        En clair et en bref : Dieu n’attend pas que nous changions pour nous pardonner, il nous pardonne pour que nous changions. La première lecture du livre de la Sagesse va dans le même sens : « Seigneur, tu fermes les yeux sur leurs péchés (autrement dit tu pardonnes), pour qu’ils se convertissent ». Voilà une Bonne Nouvelle absolument phénoménale qui devrait nous aider à dépoussiérer notre pratique du pardon, à revisiter le sacrement de la réconciliation d’une façon renouvelée, épanouissante, et non plus culpabilisante. Pour Zachée comme pour nous, le pardon de Dieu est une force et une joie offerte pour changer sa vie. Qu’il puisse fortifier notre vie dans notre relation en vérité avec Lui et avec les autres. Amen.