par Franck GACOGNE

Luc 18, 1-8

En lisant les textes d’aujourd’hui, je me suis arrêté sur le mot « justice ». Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais le mot « justice », « juge » ou « juger » est employé 8 fois entre la 2ème lecture et l’évangile. La veuve demande qu’on lui rende justice, et il est dit de Dieu qu’il fait justice. Nous voyons parfois dans les journaux des titres en gros caractère du style « justice est faite ! ». Ou encore, on entendra quelqu’un nous dire : « il s’est fait justice lui-même ». Ces expressions arrivent toujours dans un contexte de vengeance, de violence, de haine, ou de mépris de l’autre. Mais quand l’évangile nous parle de justice, les circonstances sont vraiment différentes.

Dans le passage que nous venons de lire, il est question de « faire justice », mais au sens noble du terme. Faire justice, c’est non pas chercher à détruire, ou ignorer l’autre, mais au contraire, c’est le prendre en considération. Pour Dieu, faire justice dans cet évangile, c’est écouter la requête de celui qui crie vers lui, afin de rendre sa situation plus juste. Quand Dieu fait justice, il accueille, il écoute, il relève, il rend une dignité d’enfant de Dieu, en bref il aime.

Dans le nouveau testament, le terme de justice est assez souvent associé à celui de miséricorde, c’est à dire un regard plein d’amour et de compassion que Dieu porte sur chacun de nous. Mais quand nous lisons dans la Bible que Dieu nous juge, ou qu’il exerce un jugement, percevons-nous en premier cette image d’un Dieu plein d’amour et de compassion pour nous ? Quand nous proclamons notre foi en disant dans le credo que le Seigneur Jésus « viendra juger les vivants et les morts » est-ce que je m’en réjouis comme d’une bonne nouvelle ? Je crois que le plus souvent, nous en avons une image négative, voire terrible, comme si Dieu venait examiner, conserver et peser chacun de nos actes pour nous les rappeler aux derniers jours. Il me semble que cet évangile nous révèle exactement l’inverse : quand Dieu nous fait justice il vient non pas nous faire mariner dans notre péché pour nous enfoncer, mais au contraire, il vient considérer notre appel pour nous relever pour nous justifier, c’est-à-dire nous rendre juste, nous associer à lui, nous donner tout ce qu’il a, nous donner tout ce qu’il est, nous donner sa propre vie.

Quand Dieu fait justice, il souhaite que nous soyons ajustés à lui. Je ne sais pas s’il y en a parmi vous qui ont travaillé en bureau d’études, en mécanique, sur des machines-outils, ou même qui ont été ajusteur. Vous savez alors toute l’importance de deux pièces métalliques parfaitement ajustées l’une à l’autre : avec un jeu, c’est-à-dire un espace nécessaire mais minimum entre elles, ces deux pièces s’emboîtent, fonctionnent, et s’articulent parfaitement l’une par rapport à l’autre. Et bien de la même manière Dieu veut nous faire l’honneur d’être ajusté à lui.

A la fin de l’évangile, nous avons entendu ceci : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Car en effet, la question n’est pas de savoir si Dieu se fait prier longuement pour rendre justice, car il le fait sans tarder. La question est plutôt de savoir s’il y aura tout simplement encore quelqu’un pour le prier aujourd’hui et demain, si quelqu’un aura encore le désir de s’ajuster à lui, de lui demander dans la prière de le rendre juste. Ce pourrait-être l’unique prière nécessaire : une prière qui est dessaisissement pour laisser Dieu nous faire, le laisser nous ajuster à Lui. Mais voilà, Dieu ne veut pas s’imposer, Jésus ne fait que s’interroger sur notre désir par cette réflexion dont la réponse nous revient : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Autrement dit, nous trouvera-t-il les bras ballants, ou bien les bras vigoureux pour prier et mettre notre foi en acte.

Quel dommage que la liturgie de ce jour ne nous ai pas proposé aussi la suite de ce passage, ce sera l’évangile de dimanche prochain, mais je prends un peu d’avance car les versets qui suivent nous en donnent une clé de compréhension :

Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain. Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’ Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !’ Quand ce dernier rentra chez lui, c’est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l’autre.

Le pharisien en fait ne prie pas, il s’auto-justifie devant Dieu, et comme si cela ne suffisait pas, il dénonce le publicain derrière lui. Alors que le publicain lui, exprime une vraie prière : il demande à Dieu de le rendre juste. Que cette Eucharistie, Seigneur nous ajuste à toi.