par Franck GACOGNE

Luc 14, 25-33

        Quel radicalisme ! Faut-il tout quitter pour vivre chrétiennement d’une façon authentique ? Jésus recommanderait-il que nous nous fassions du mal pour le suivre ? Est-ce le prix à payer pour être disciple ? Ne nous trompons pas de visée. L’intention de Jésus n’est pas de nous faire renoncer à tous ce que nous avons, mais que nous puissions parvenir à devenir son disciple. L’objectif, l’enjeu de cet évangile est de nous faire disciple. Le renoncement n’est pas le but, mais le moyen d’y parvenir. Essayons d’y voir plus clair. Remarquons d’abord que ce n’est pas le Christ qui décide, qui détermine tout seul ceux qu’il choisit pour être ses disciples. Non, il ne fait que signifier à tous l’attitude nécessaire pour le devenir. A chacun ensuite selon sa conscience et son attachement, de choisir, de manifester son désir de le suivre. Mais quel est donc le profil des personnes qui vont choisir de tout quitter pour lui : est-ce que ce sont des fous, des inconscients, des masochistes ? Et si c’étaient des chercheurs de bonheur, des chercheurs qui ont trouvé. Trouvé une perle rare, trouvé la perle rare comme dans cette parabole de Matthieu sur le Royaume, vous savez, c’est l’histoire de cet homme en quête de la perle rare et qui l’ayant trouvé, vend tout ce qu’il a pour l’acheter (Mt 13, 45-46). Il n’a pas l’air bien malheureux cet homme, au contraire, je pense que beaucoup l’envie, parce qu’il a su trouver au milieu d’un fourmillement de propositions, d’une foultitude de bonheurs prêts à porter celui qui peut combler toute sa vie : le Christ. Combler sa vie, c’est-à-dire la remplir, d’où la nécessité de faire de la place pour lui.

        Parfois nous lisons un peu mal l’évangile, et nous croyons entendre : « Si quelqu’un vient à moi sans renoncer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple » Alors qu’en fait Jésus ne nous demande pas de renoncer à voir les membres de notre famille pour le suivre, mais de le préférer à eux, sinon comment comprendre le commandement : « Honore ton père et ta mère… » (Ex 20, 12). Voici ce qui a été lu : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père… il ne peut être mon disciple ». Littéralement, le verbe employé (miseo, misos) semble vouloir dire « celui qui vient à moi sans haïr » ce qui serait terrible, mais ce verbe a sans doute été employé pour remédier comme dans l’Ancien Testament à la difficulté de mettre un comparatif. En fait, je pense que St Luc veut indiquer qu’il doit y avoir une différence de degré dans notre façon de signifier que l’on aime le Christ ou ses proches. Je me souviens bien, gamin, quand j’employais trop souvent le verbe « adorer » pour tout et n’importe quoi, eh bien, je me faisais reprendre : « il n’y a que Dieu qui mérite d’être adoré » ! Cette différence était alors bien signifiée. Il est pourtant bien question de renoncement à la fin de ce passage, c’est vrai, mais il s’agit de renoncement à des biens et non à des personnes ce qui est très différent. Le verbe traduit par « renoncer » Apotassomaï : apo : séparation, à distance ; tasso : mettre. « Renoncer » dans ce passage, c’est donc mettre à distance les biens qui peuvent s’avérer des obstacles à la rencontre du Christ. Chacun de nous aura vite fait de repérer ce qui l’empêche de prendre un temps de prière régulier, de lire la Parole de Dieu ou d’aider son voisin en difficulté.

        Enfin, la troisième recommandation évoquée pour être son disciple, c’est de « porter sa croix pour marcher derrière lui ». Nul doute que St Luc fait allusion aux épreuves des premiers disciples, ces premiers chrétiens alors persécutés à cause de leur foi. Mais pour nous aujourd’hui comment pouvons-nous comprendre cette invitation à porter sa croix et marcher derrière lui ? Le Christ nous veut tout entier, avec nos croix, le poids de nos infidélités ou de notre péché, cette croix que nous traînons parfois comme un boulet. Marcher avec elle derrière lui, c’est ne pas cacher les difficultés ou les nier, c’est accueillir la ferme espérance que Jésus transfigure ce poids, parce qu’il a lui même traversé la mort par la croix en l’anéantissant pour renaître à la Vie. Le chemin passe par la croix. La croix n’est pas le but du chemin mais on la trouvera au travers.

        Voilà ! Les jalons pour suivre le Christ sont posés. Jésus qui respecte infiniment la liberté de l’homme ne cherche pas à le tromper en cachant les difficultés, il n’y a rien de démagogique dans son discours bien au contraire, il accompagne ces recommandations de deux paraboles de sagesse qui semblent vouloir nous dire : tout cela mérite réflexion pour ne pas décider sur un coup de tête. Au seuil d’une nouvelle année scolaire, des décisions peuvent être prises par chacun de nous pour cette année, mais il y a aussi des projets à mûrir qui engagent toute une vie. Quand on expérimente, un moment, combien au fond de soi suivre le Christ rempli de joie, pourquoi ne pas s’interroger sur l’opportunité d’y consacrer toute sa vie ? Rendons grâce à Dieu pour Alexandra qui a prononcé ses vœux définitif, et pour Marie qui a renouvelé cet été ses vœux temporaires, pour tous les couples qui s’engagent dans le sacrement du mariage, ou pour ceux qui cheminent vers un ministère ordonné : diacre ou prêtre. Aide-nous Seigneur, à ne pas regretter ce qu’on laisse, mais à regarder ce que tu nous offres… un chemin de Vie et de joie. Amen.