par Franck GACOGNE

Luc 14, 1a.7-14

        Je ne sais pas si vous l’avez remarqué aussi, il y a une expression que j’entends de plus en plus souvent dans la bouche de certain jeunes actifs, de certains jeunes cadres dynamiques : ils se demandent ce qu’ils valent ! Ils questionnent des collègues : « d’après toi qu’est-ce que je vaux ? » Etonnant à première vue de vouloir rapporter les compétences ou les qualités d’une personne à un prix, à une valeur marchande, à un salaire que l’on croit alors devoir revendiquer lors d’un entretien d’embauche. Plus étonnant encore lorsque c’est la personne elle-même qui cherche à s’auto-estimer ! Leur formation les incite à élaborer un plan de carrière. On leur dit d’ailleurs qu’il faut savoir se vendre, et ils reçoivent des formations pour bien le faire. C’est pourquoi je trouve l’évangile passionnant. Cette Parole est vivante non seulement parce qu’elle nous révèle qui est Dieu, mais aussi parce qu’il est toujours possible d’en faire des rapprochements avec notre quotidien, notre société aujourd’hui. Cette Parole nous interpelle !

        Si Jésus rapporte cette parabole, c’est probablement parce que lui aussi croisaient des personnes qui pensaient valoir la première place et qui s’y précipitaient. Bien sûr, cette histoire veut nous dire quelque chose sur l’humilité, et en premier lieu que l’humilité ne consiste pas à décider par soi-même ce que l’on vaut, mais à en laisser à l’autre l’appréciation. Je rencontre d’autres personnes qui me disent parfois : « je ne suis bon à rien, je ne vaux rien ! » Je crois que le verbe valoir, lorsqu’il est rapporté à une personne est absolument terrifiant. Ce qui constitue notre valeur aux yeux de Dieu ne s’exprime pas par des chiffres. Quand le Seigneur dit par la bouche du prophète Isaïe : « tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime » (Is 43, 4), il relève celui qui croit n’être plus rien et lui dit que sa valeur la plus inestimable, c’est d’exister et de pouvoir aimer. Et en effet, à la fin de la parabole, Jésus recommande au chef des pharisiens chez qui il se trouve d’inviter des pauvres, des boiteux pour leur signifier la place que Jésus lui-même veut leur donner.

        Dans la parabole, Jésus veut indiquer au chef des pharisiens que certains ont été oubliés à ce repas, et non pas qu’il faille faire plusieurs services successifs selon la condition sociale de chacun. Voilà encore ce que je trouve d’extraordinaire dans l’Eucharistie, comme nous l’avons entendu dimanche dernier d’ailleurs, il n’y a pas de place réservées ni sur un banc d’église, ni sur un nuage, mais tous sont invités, y compris ceux qui ne sont pas là ! Mais se savent-ils invités ? Nous le rappellerons d’ailleurs tout à l’heure : « Heureux les invités au repas du Seigneur ». Et nous répondrons par une parole pleine d’humilité : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une parole, et je serais guéri ». La Parole qui vient justement ensuite est celle-ci : « que le Corps et le Sang du Christ nourrissent en nous la vie éternelle ». Alors, cette parole nous met en route, c’est pourquoi après avoir dit que nous n’en sommes pas digne, cette parole nous fait « avancer plus haut », comme dit l’évangile, pour recueillir dans nos mains vides la vie dont le Seigneur veut nous nourrir.

        L’humilité n’arrive pas par hasard, ce n’est pas une qualité qui serait innée pour certains seulement. Je crois que l’humilité est une décision : d’ailleurs l’évangile nous dit bien que l’homme choisit de prendre la première, ou choisit de prendre la dernière place. Dans la vie spirituelle, prendre la dernière place, c’est éviter le risque de prendre celle de Dieu, c’est désirer lui laisser la première place dans sa vie. Et cette attitude ne nous exclu pas de lui (car alors ce ne serait plus de l’humilité, mais de l’humiliation), au contraire, cette attitude nous permet de nous en rapprocher : « mon ami, avance plus haut », plus près. A tel point que cela permettait à Paul d’affirmer « ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

        « Qui s’abaisse sera élevé ». Saint François-Xavier disait que « sur les pas de Jésus-Christ, on ne monte qu’en descendant ». Choisissons de marcher humblement sur les pas du Christ en descendant à la hauteur de ceux en qui il s’est identifié, le plus petit. Nous nous trouverons alors à la première place pour qu’il vive en nous ! Amen.