par Franck GACOGNE

Hébreux 11, 1-2.8-19

        Avez-vous remarquez l’expression qui revient le plus souvent dans cet extrait de la lettre aux Hébreux ? « Grâce à la foi » ou « dans la foi », cité 5 fois. Cela tombe bien, nous sommes dans « l’année de la foi ». « Grâce à la foi Abraham obéit à l’appel de Dieu… Grâce à la foi, il vint séjourner dans la terre promise… Grâce à la foi Sara fut rendue capable d’avoir une descendance etc. … » Que nous disons-nous ? Que la foi est un coup de baguette magique qui ne marche que pour les autres ? Ou bien alors qu’on ne doit pas en avoir assez ?

        Je pense que dès le départ nous nous trompons en utilisant le mot foi dans des expressions qui en détournent le sens, par exemple quand nous disons ou que nous entendons : « J’ai trouvé la foi… J’ai perdu la foi… J’ai la foi ! », comme si la foi était un objet de possession dont on serait ou non équipé. Non, la foi n’est jamais un objet de possession, mais elle est toujours l’objet d’un choix, d’une décision personnelle et en conscience ! Elle ne peut pas se confondre avec « l’entrée dans un système », car elle est toujours « un engagement de la liberté ». On devient croyant : la nouveauté radicale de la foi n’a rien d’un acquis initial. La foi ce n’est pas l’évidence, mais c’est le doute qui est surmonté, l’adhésion, l’engagement. On ne naît pas chrétien, on le « devient ». Je ne peux pas dire « j’ai la foi », mais je peux dire « J’espère croire, je désire croire, j’essaye de croire … » et la raison en est claire : c’est l’autre qui sait si je crois en Lui. Si j’affirme sans nuance mon assurance de croire, je prends la place du Christ, je risque de le nier en faisant les demandes et les réponses. Croire n’est pas un savoir. S’il nous est demandé de croire en Dieu, c’est parce qu’il n’est pas évident que Dieu soit ! Croire ne fige pas Dieu, mais le respecte et le transcende. Quand on dit « je crois », on déclare une confiance, foi et confiance viennent du même mot : on se fie à quelqu’un. Dans ce « je crois » que nous dirons tout à l’heure, nous n’énonçons pas une opinion, mais nous disons la force d’un engagement et d’une adhésion dans un acte de confiance. « Je crois en Dieu ». Cela veut dire : je lui fais confiance pour me conduire à « la vie éternelle », c’est le dernier mot du Credo, je m’engage en Eglise à suivre le Christ et l’Evangile pour atteindre ce but, la vie avec Dieu en communion avec tous les frères. La foi, c’est l’acte de marcher, d’aller de l’avant, sans s’arrêter ni regarder en arrière, acte de se laisser aspirer par un terme infini dont nous ne savons rien sinon qu’il est notre raison d’exister. Ce n’est pas remettre notre vie dans la main d’un inconnu, mais c’est la prendre en charge et lui assigner un but.

        On entend parfois l’expression « vérité de foi ». Il n’y a de vérité de foi que parce que je crois que Celui en qui je mets ma confiance ne peut pas me tromper, qu’il est vrai au sens où il me dit « je suis le chemin, la vérité et la vie ». Dans l’ordre de la foi, l’exercice de l’intelligence est non seulement possible, mais il est nécessaire et requis. Voilà pourquoi il nous est souvent proposé des formations pour approfondir la foi, pour éveiller en nous l’intelligence de la foi. Croire ne doit jamais s’opposer à sa volonté, son intelligence, sa raison et sa conscience. La foi n’est pas un acte formel de soumission servile à tels ou tels énoncés. La foi ne peut être qu’un acquiescement qui met en jeu – en mouvement – toute la personne, toute son intelligence, toute sa capacité de questionnement, toute sa faculté de comprendre.

        Reste la question clé : « A quoi ça sert de croire ? ». Eh bien en stricte logique, cela ne sert à rien, comme l’amour authentique ne sert à rien. Il se justifie par lui-même. C’est quand l’amour est gratuit et désintéressé qu’il fait sens. La foi ne change rien. La foi, comme la lumière, donne à voir !

        Et la préoccupation de beaucoup d’entre-nous : « Oui, mais mes enfants, mes petits enfants ne sont pas du tout croyants » Fondamentalement, en effet, nous n’avons pas le pouvoir de transmettre la foi. Nous ne pouvons que veiller aux conditions qui rendent la foi possible, compréhensible, et désirable ; mais notre pouvoir s’arrête là : aux conditions de possibilité. Car la transmission de la foi elle-même n’est pas de notre ressort. Elle sera toujours à la fois le fruit de la grâce de Dieu, mais aussi de la liberté des hommes. Car dans la foi, il y a bien un double mouvement ; quelque chose qui vient de Dieu et notre consentement. Mais nous ne pouvons pas croire en Dieu si nous n’avons jamais entendu parler de lui. C’est d’ailleurs pourquoi il est important et même indispensable que nous soyons les témoins de ce que nous croyons, ce que nous avons reçus. La foi doit être proposée, mais elle laisse cependant l’autre en disposer. Nous ne transmettrons pas la foi, mais nous pouvons en revanche en faire naître le désir. Amen.