par Franck GACOGNE

Luc 9, 18-24

Il y a vraiment quelque chose d’essentiel qui se passe dans cet évangile, un tournant décisif dans la vie des disciples et dans la nôtre autour de cette question que Jésus leur pose et qu’il pose à chacun de nous : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ». Jésus n’est pas tellement intéressé par ce qui est dit à son sujet dans l’anonymat de la foule ou de nos réunions, son intention n’est certainement pas de mesurer sa côte de popularité, mais bien plutôt de permettre à ses disciples de se positionner eux-mêmes personnellement : « Pour vous, qui suis-je ? »

C’est Pierre, le plus fougueux de tous qui prend la parole pour répondre, sans doute au nom de tous les autres : tu es « le Messie de Dieu ». Le Messie de Dieu, c’est-à-dire le Christ, le Sauveur. Voilà une profession de foi bien intrépide et courageuse. Mais Jésus doit encore mettre les choses au point, parce que dans la bouche de Pierre des disciples et des juifs qui suivent Jésus, dire de Jésus qu’il est le Messie de Dieu, le Christ, c’est certainement le considérer comme celui qui va enfin les libérer de l’oppression, et qui va le faire si possible vigoureusement, en vainqueur, et en prenant le pouvoir.

Mais voilà que sans nier ce rôle de Messie qui lui est attribué, Jésus commence à leur expliquer qu’il va devoir passer par la croix, que loin d’anéantir ceux qui occupent leur terre, c’est lui même qui sera anéanti et écrasé. Jésus tente de leur expliquer qu’il sauve en passant par la croix, parce que c’est uniquement de cette façon là qu’il peut relever tout ceux qui comme lui ont été écrasés ; par la croix, il se retrouve solidaire avec eux dans l’injustice. Par sa résurrection, il les entraîne avec lui dans son relèvement. Ainsi Jésus ne nie pas cette appellation de « Messie de Dieu », mais il associe à cette identité divine un paradoxe à ce moment inaudible pour les disciples : le fait qu’il doive souffrir, être rejeté, et tué avant de ressusciter.

Jésus dérange l’image que les disciples se sont construit de lui. Cela doit nous interroger : se pourrait-il qu’il soit bien différent que ce que j’en dis, que ce que je désire qu’il soit ? Est-ce que je cherche, est-ce que j’espère trouver en Dieu le reflet de ma propre image. Est-il celui que je construis identique à moi-même, ou au contraire avec tout ce qui me manquerait ? Comme les juifs au temps de Jésus, est-il celui dont j’aimerais déterminer moi-même les contours pour qu’il aille bien avec ce que je veux en faire ? Mais peut-être que ce serait oublier que c’est moi qui suis créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et non l’inverse ! C’est pourquoi il est je crois toujours nécessaire de réajuster notre regard, grâce à une lecture toujours ouverte et interpellante de l’évangile, grâce à d’autres dans un groupe. Il est bon de laisser déranger l’image que l’on s’est construite de Jésus. Il est normal et peut-être nécessaire que notre réponse à sa question : « pour toi qui suis-je ? », que cette réponse change et évolue selon les expériences, les rencontres, et les années que nous prenons.

Je prends un exemple : les vrais amis sont-ils ceux qui sont toujours d’accord avec moi, qui me laisse faire ce que je veux, qui me soutienne dans tout ce que j’entreprends ; ou bien est-ce des personnes qui justement parce qu’elles m’aiment et me respectent seront capable de me dire en face et en vérité : « là, je crois que tu te plantes, que tu ne fais fausse route, que tu vas dans le mur, là, je ne te suis plus ». Jésus est celui qui se démarque. Il n’est pas le nounours qui vient nous réconforter et nous conforter dans la foi, non, il nous secoue, nous contrecarre et nous interpelle par sa Parole, et c’est pour cette raison là que nous pouvons vraiment compter sur lui. « Je ne vous appelle plus serviteurs,… je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15)

Seigneur Jésus, tu me poses personnellement cette question : « Pour toi, qui suis-je ? » Donne-moi la souplesse et la surprise d’être conduit au-delà de la réponse que je suis capable de te donner. Amen.