par Franck GACOGNE

Lc 7, 11-17

Quand le malheur survient, que pensons-nous de Dieu, que lui disons-nous ? Je crois qu’à travers ces textes, nous voyons le cheminement, nous voyons l’évolution de la foi à travers la Bible. Dans le passage du livre des Rois que nous avons entendu, probablement écrit vers 580 avant JC, le prophète Elie interroge le Seigneur : « cette veuve chez qui je loge, lui veux-tu du mal jusqu’à faire mourir son fils ? » C’est une interrogation qui prend le prophète aux tripes et peut-être le plonge dans le doute. 500 ans plus tard, vers 50 av. JC, l’interrogation de Elie est devenue une affirmation forte par l’auteur du livre de la Sagesse où l’on peut lire au chapitre premier : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » (Sg 1, 13). « Tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître, ami de la vie » (Sg 11, 26). Et 100 ans plus tard l’évangéliste Luc ne cherche ni à interroger, ni a affirmer l’innocence de Dieu devant la mort d’un enfant, il va bien au-delà, en nous décrivant l’attitude de Dieu lui même qui, en Jésus manifeste par ses mains qu’il est le Dieu de la vie, qu’il veut pour chacun la vie : il touche la civière, s’adresse au mort qui se redresse, et le rend à sa mère.
Espérons que 2000 ans plus tard, quand le malheur nous arrive, nous ne soyons pas revenu en arrière en soupçonnant Dieu de nous retirer ce dont nous avons de plus cher, et rappelons-nous toujours ces paroles du livre de la Sagesse : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » (Sg 1, 13)
Une autre expression de l’évangile peut nous arrêter et peut-être nous décevoir : Luc nous dit que « le Seigneur fut saisi de pitié pour elle ». Aujourd’hui, l’expression « avoir pitié de quelqu’un » peut parfois vouloir signifier une attitude méprisante, ou qui regarde de haut. Mais dans notre évangile il ne s’agit pas de tout de cela. Ce qui est traduit en français par « le Seigneur fut saisi de pitié pour elle » est mot à mot : « il fut remué dans ses entrailles », expression très forte qui dit combien Jésus est ému au fond de lui-même, touché et se laisse toucher par la situation tragique qu’il croise.
Si Jésus fait revenir à la vie ce jeune homme, ce n’est pas pour que jamais plus aucun enfant ne meurt, ce n’est pas pour que plus aucun parents ne puissent vivre cette souffrance indescriptible, nous le voyons bien, cela existe toujours. Jésus n’est pas un magicien doté d’un pouvoir surnaturel qui s’interposerait à tout moment pour corriger ce que le sens ne peut comprendre. Nous le savons, et nous en faisons mémoire à chaque messe : Jésus lui-même n’a pas été préservé, il n’a pas été exempté de la mort, lui comme ce jeune homme à Naïm, est le fils unique. Alors si Jésus pose cet acte, c’est pour dire, c’est pour manifester au plus haut point combien il est le Dieu de la vie, le Dieu qui veut la vie, le Dieu qui rend la vie. Cette rencontre veut signifier une préfiguration de la résurrection. C’est bien son Père qui relèvera Jésus de la mort.
Pourrions-nous mettre notre espérance en la résurrection si Jésus n’avait pas subi lui-même la mort. C’est parce qu’il nous a devancé sur ce chemin de l’humanité en vivant et en traversant absolument toute les phases de ce parcours d’humanité, que sa vie en plénitude avec Dieu nous devient, à nous qui passons par le même chemin accessible, désirable, et en espérance.
« Dieu rappelle à lui ». Il nous arrive d’entendre ou de lire cette expression à l’occasion d’un décès. Puissions-nous bannir à tout jamais de notre vocabulaire et de notre bouche de telles expressions, parce qu’elles sont sources d’ambigüité, car, mal comprises, elles sont aussi horribles que fausses ! La mort n’est jamais un acte de Dieu qui veut rappeler. Jamais ! Voici ma foi : Le Seigneur n’est pas acteur de la mort, il la subit sur la croix. En revanche, je crois fermement que Dieu son Père est l’initiateur de la vie à laquelle la mort, comme un passage furtif, nous introduit. Jésus n’est pas venu pour que les hommes ne connaissent plus la mort, mais il est venu pour que, si la mort survient, il puisse nous donner la vie, sa vie au-delà de la mort ! C’est ce que nous célébrons chaque dimanche. Puissions-nous l’espérer, et en témoigner. Amen.