Par Franck GACOGNE

Luc 15, 1-32

Quand on pense trop bien connaître un texte, on a parfois des idées reçues dont on ne se détache pas facilement. Alors voici trois questions pour nous inviter à relire cette parabole de près…

Lequel des deux fils s’est éloigné du Père ?

C’est le fils aîné ! Bien sûr, on trouve souvent sa réaction légitime, lui le juste, l’homme droit, fidèle, toujours là… Mais regardons bien, il entretient une relation totalement fausse, aussi bien avec son père qu’avec son frère. De son père, il en parle comme d’un patron : « Il y a tant d’années que je suis à ton service ! ». Littéralement, le texte dit : « Il y a tant d’années que je travaille pour toi comme un esclave. ». Mais jamais le Père ne lui a demandé une telle attitude devant lui, au contraire, il lui redit : « Tout ce qui est à moi est à toi », et il le nomme : « mon enfant ». Mais ce fils aîné se coupe lui même de la relation à son père simplement dans la façon de nommer son frère : il ne dit pas « mon frère » pour en parler, mais il dit « ton fils que voilà » comme pour se séparer de ces liens familiaux. La conversion ne concerne pas que le fils cadet, ce fils aîné lui aussi s’est éloigné du Père non dans les faits et l’apparence, mais dans son cœur, très profondément. Par la place de Fils qui est la sienne, mais qu’il ne prend pas à cause d’une obéissance servile qu’il choisit, et par son attitude de rejet envers son frère, il se coupe et s’éloigne d’une relation offerte et légitime, lui qui se croyait si vertueux !

Cela peut interroger chacun de nous : quand le Christ me dit comme au jour de mon baptême : « toi, mon enfant, tu es avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » Est-ce que je prends la place qui m’est offerte par Dieu : celle de Fils ? Dans l’Eglise, est-ce que je l’exerce comme un Fils qui a une conscience, une parole, des idées, qui prend des initiatives, ou bien comme esclave qui attend tout d’un père ?

Quel personnage de la parabole s’est trouvé dans une situation très difficile, presque mort ?

C’est le Père ! Bien sûr, parce que le plus jeune des fils, lui réclame l’argent qui certes serait le sien, mais seulement à la mort de son Père. Un héritage ne se réclame pas d’un vivant, il se reçoit suite à un décès. C’est comme s’il disait à son père : « tu es mort, donne-moi ma part ! » Le Père a autorité sur son Fils, il pourrait le contrer, s’emporter. Mais la force du Père, elle est dans sa capacité à laisser libre ses enfants, quitte à en souffrir, quitte à en mourir… Rien ne sera plus important que de tout donner à ses enfants.

Cela peut nous interroger sur des relations parents/enfants en famille. Il y a des paroles qui peuvent tuer une relation, ou la meurtrir durablement. Mais il y a aussi des refus nécessaires pour éduquer, apprenons à discerner les paroles qui rendent libres, et celles qui rendent captifs.

Entre le plus jeune fils et le père. Quel est celui, qui retourne vers l’autre ?

Je crois que c’est surtout le père qui va vers le fils cadet. Le fils fait le début du chemin, et c’est absolument nécessaire qu’il le fasse, car c’est librement et en conscience qu’il a décidé de rentrer, le père ne vient pas le chercher. C’est sûr, le fils avait bien prévu de faire tout le chemin du retour jusqu’à son père. Probablement même qu’il redoutait l’estomac noué, le moment où il approcherait de la maison. Il avait préparé avec soin un acte de contrition complet et parfait : « Père, j’ai pêché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers ». Mais rien ne se passera comme prévu. Car c’est le père qui est « ému jusqu’aux entrailles » et qui va à sa rencontre. Plus que cela, il y court, il se jette à son cou pour le couvrir de baisers. Surpris, le fils commence sa phrase mais ne peut pas la terminer, car le père lui coupe la parole : En fait, ce père ne refuse qu’une chose : que son fils ne soit plus son fils. Et puis le temps de la confession est déjà passé, c’est celui des réjouissances qui est déjà là.

Cela peut nous interroger. Quand une démarche de réconciliation semble nécessaire, qui fera le premier pas ? Et quand cette démarche se fait, il y a parfois des paroles qui cherchent à exprimer une culpabilité, il y a aussi des gestes de pardon qui peuvent couper la parole de celui qui exprime son regret pour éviter son humiliation. La parole est entendue, cela suffit ! Nous le voyons dans la parabole rien n’est plus important que de manifester immédiatement la joie des retrouvailles.

Ne nous lassons pas de méditer l’attitude du Père : Il scrute l’horizon, l’espérance au cœur. Il t’aperçoit au loin, et ému jusqu’aux entrailles, il court se jeter à ton cou pour t’embrasser et te recouvrir de la dignité de Fils de Dieu. Amen.