Par Franck GACOGNE

Luc 13, 22-30

La lecture du livre d’Isaïe et surtout l’Evangile évoquent le salut de Dieu qui nous est offert. Le salut de Dieu, voilà un thème biblique, une donnée de la foi qui est bien compliquée, et pourtant centrale. Est-ce que cela veut dire que Dieu nous dit bonjour !? D’une certaine façon, oui ! Il veut le faire en nous associant à sa vie pour nous la donner. C’est cela le salut, vouloir nous rassembler en Lui dès aujourd’hui et après notre mort. Et je crois que les lectures de ce jour nous donnent quelques éléments pour mieux comprendre ce « salut de Dieu ».

Le livre d’Isaïe comme l’évangile nous parle d’un immense rassemblement en un lieu, c’est déjà une indication. Avec cette première lecture, le lieu phare, c’est Jérusalem. Nous nous situons à la fin de l’exil à Babylone. Après la déportation et l’humiliation, après la grande dispersion, c’est enfin le rassemblement qui se réalise, de toutes les nations à Jérusalem et plus précisément au Temple, « elles viendront et verront ma gloire » dit le Seigneur par la bouche d’Isaïe.

Dans l’évangile, ce grand rassemblement évoque le salut. Jésus le représente comme un grand festin, un immense repas de noce. C’est très souvent par cette image que Jésus veut nous faire comprendre le Royaume de Dieu. Beaucoup de question se posent à nous : qui y est invité ? Comment y accéder ? Essayons d’y répondre. Au départ, il semble qu’il y ait des invités privilégiés ou prioritaires, disons plutôt des invités naturels : ce sont les croyants de la première Alliance, puisque tout au long de l’ancien testament, Dieu ne cesse de leur rappeler sa promesse. Puis par l’incarnation, Jésus signifie clairement que sa mission s’étend à tous et plus spécialement à ceux qui ne se sentent pas digne de lui : « je ne suis pas venu pour les justes et les biens portants, mais pour les malades et les pécheurs ». Mais Jésus évoque des personnes qui réclament ce salut comme un dû, faisant remarquer qu’elles sont là depuis le premier jour, qu’elles ont mangé et bu en sa présence ; alors à la fin du passage, cela change, on vient des quatre coins du monde prendre place au festin dans le Royaume. En fait, le seul critère d’accès, c’est de nous efforcer d’entrer par la porte étroite. Ne nous trompons pas, ce n’est pas la salle du festin qui est étroite, mais c’est la porte qui y conduit. Dans l’évangile de Jean, Jésus dit : « Je suis la porte. Qui entrera par moi sera sauvé » (Jn 10, 9). Entrer par la porte étroite, c’est dire « oui » au Christ, et désirer le suivre. Rappelons-nous une autre parabole du Royaume des cieux qui était dans la liturgie jeudi dernier. Il s’agissait d’un repas de noces auquel ceux qui étaient invités refusaient de se rendre, prétextant d’autres priorités ou occupations, et ce malgré l’insistance répétée des serviteurs. Alors, c’est finalement à la croisée des chemins que tous ont été rassemblés et invités, « les bons comme les mauvais ». Nous pouvons déjà en conclure que l’accès à ce festin, au salut par la porte étroite, est d’abord conditionné par notre libre réponse, et l’expression de notre désir de suivre le Christ ; et non pas par un choix arbitraire de Dieu, ou après avoir pesé nos mérites ou nos bonnes actions. C’est Jésus qui reproche à certains de vouloir limiter l’accès au Royaume de Dieu à d’autres. Quelqu’un en effet pose négativement à Jésus la question d’un nombre supposé restreint de personnes qui pourraient y participer : « N’y-a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Ceux-là veulent être rassuré par Jésus et veulent s’assurer cette place, non pas en la recevant humblement comme un don, mais en la réclamant haut et fort comme un dû. Ce qui importe pour eux, ce n’est pas la multitude de ceux qui pourraient être accueillis dans ce Royaume, mais c’est l’assurance que eux, les purs, y ont bien leur place, parce qu’ils l’auraient mérités. Ils se comportent comme ceux qui se donnent le droit de filtrer les entrées par la porte étroite en réclamant la carte du club ! Le théologien Bernard Rey utilisait une autre image en disant : « Nous n’avons pas à nous comporter sur terre comme si nous étions en salle d’attente, les mains serrées sur notre billet et le bagage de nos mérites, en attendant que passe le train qui va au ciel… »

Je crois que cette parabole du Royaume de Dieu nous concerne, nous chrétien, ne serait-ce que parce que le concile Vatican II comme le catéchisme de l’Eglise nous rappelle qu’il n’y a pas confusion et assimilation entre le Royaume et l’Eglise. Le Royaume dont parle Jésus dépasse et déborde toujours largement les frontières de l’Eglise. Savons-nous nous réjouir que Dieu puisse appeler dans un même rassemblement tous les hommes au salut quelques soient leurs conditions sociales, leurs origines ou leurs religions ?

Cette porte du Royaume de Dieu qu’il faut s’efforcer de passer, c’est le Christ lui-même. Elle est bien étroite, mais elle est accessible à tous les hommes et les femmes de bonne volonté qui vivent et agissent humblement, portés par leur foi ou au nom de leur convictions les plus profondes lorsque cette foi ou ces convictions sont guidés par un esprit solidaire, compatissant, miséricordieux. Cette porte du Royaume est grande ouverte aussi à tous ces « petits » qui ne répondent pas aux critères de compétitivité ou de performance que notre société leur impose, tous ces petits qui arrivent bien souvent bon dernier, mais au terme d’un effort et d’une dignité à toute épreuve.

Seigneur, toi qui offre ton salut à tous les hommes, donne-nous par cette Eucharistie de manifester véritablement la communion à laquelle tu nous appelles. Amen.