Par Franck GACOGNE

Luc 10, 25-37

Les lectures que nous avons aujourd’hui sont très riches. Jésus rencontre un docteur de la Loi, c’est dire s’il la connaît sur le bout des doigts. Jésus lui demande « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » Pas simplement « Qu’y a-t-il d’écrit ? » mais également « comment lis-tu ? » C’est-à-dire comment interprètes-tu, comment comprends-tu, quel sens donnes-tu à ces mots ? Etre chrétien, ce n’est pas simplement savoir ce qu’il y a d’écrit dans la Bible, savoir ce que Dieu y recommande, mais c’est aussi le comprendre, l’assimiler, lui donner du sens le mettre en perspective, l’actualiser… Vous l’avez compris toute lecture fondamentaliste de la Bible est proscrite, par Jésus lui-même. Etre chrétien nécessite continuellement de se former à une approche intelligente et interprétante des Ecritures. Et cela pour ce pas instrumentaliser la Bible, pour ne pas capter et extraire des demi-verset afin d’appuyer les idées ou l’idéologie que l’on porte. Une approche chrétienne de la Bible ne cherche pas à l’utiliser à la surplomber, mais c’est au contraire se soumettre à l’Ecriture non pas d’une manière infantilisante ou servile, se soumettre, c’est-à-dire se placer sous elle, se laisser modeler par elle pour en percevoir les lignes de forces, la visée, le chemin, pour la servir, et non pas s’en servir. Vous le savez peut-être, il y a un magnifique geste qui est réalisé lors d’une ordination épiscopale. On vient placer une Bible ouverte au-dessus de la tête de celui qui est ordonné évêque. Si vous venez, vous aurez la chance de voir et méditer ce geste à Lyon le 11 septembre prochain pour l’ordination du nouvel évêque auxiliaire.

Interpréter c’est bien ce que fait l’homme que Jésus rencontre car il réunit en un seul, deux commandements qui était dissociés dans la Loi, que l’on trouvait dans deux livres différents. La première partie de sa réponse : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence » se trouve dans le livre du Deutéronome (6, 5) et la seconde partie de sa réponse « et ton prochain comme toi-même. » se trouve dans le livre du Lévitique (19, 18). Dans cette réponse, le docteur de la Loi fait ce que Jésus lui-même a répondu à un scribe qui lui demandait quel était le premier de tous les commandement (Mc 12, 28-34). Le fait de rassembler, d’articuler en un seul ces deux commandements dissociés, c’est déjà leur donner du sens. Le docteur de la Loi a bien compris que s’il veut chercher à aimer Dieu, cela ne peut s’accomplir qu’en aimant son prochain. Jésus lui dit alors « Fais ainsi et tu vivras ».

Mais l’histoire ne s’arrête pas là car il demande maintenant à Jésus « Et qui est mon prochain ? ». Ce n’est pas pour rien que Jésus a mis dans la parabole qui suit un Samaritain pour répondre à la question du docteur de la Loi : « Et qui est mon prochain ? » Ce docteur de la Loi n’avait mis aucune limite à l’amour qui est dû à Dieu. Mais vis à vis du prochain il pense, tout comme nous peut-être, qu’il y a certaines limites à ne pas dépasser, qu’il y a des gens qui n’entrent pas dans la catégorie des personnes à aimer, tels que ceux qui ne sont pas des justes comme lui, les païens, les Samaritains, les pécheurs et en gros, tous ceux qui ne sont pas de son bord… d’où sa question à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Et voilà que Jésus le prend complètement à contre-pied en choisissant justement un de ceux-là, un Samaritain, car tout opposait les Juifs aux Samaritains : la pratique religieuse, la langue, les coutumes, la politique… Le samaritain avait toutes les bonnes raisons possibles pour ne pas s’arrêter, eh bien c’est lui qui s’arrête et qui se conduit en prochain, c’est à dire en homme qui est aux côtés de l’autre quel qu’il soit… Et aujourd’hui, qui Jésus nous propose-t-il comme prochain ? Le texte se termine sur un renversement de situation, une inversion des personnages : « Qui est mon prochain ? » demandait le docteur de la loi, et Jésus de lui faire comprendre : « Sois toi-même le prochain de cet homme ».

Cette page de l’évangile est une magnifique théologie, et les Pères de l’Eglise, ont vu dans ce bon Samaritain le Christ lui-même. Jésus, disent ces Pères, est en voyage vers l’humanité tombée, à moitié morte ; c’est lui qui est saisi de pitié, saisi aux entrailles, c’est lui qui panse ses plaies. Quel est le prochain de l’homme celui qui lui est vraiment proche, jusqu’à partager son sort ? C’est Jésus par le mystère de son incarnation. C’est vers ce Jésus que nous sommes invité à porter le regard pour nous entendre dire : « Fais ainsi et tu vivras ». Amen.