Par Franck GACOGNE

Jean 16, 12-15

Dans une rencontre de préparation aux baptêmes il y a quelques années à la même époque, une personne me disait ceci « J’ai vu dans le calendrier que dimanche c’était la fête de Sainte Trinité, mon grand-Père l’aimait beaucoup vous savez, j’aimerais que l’on prie pour elle ! » C’est dire combien il est difficile et hasardeux d’expliquer que Dieu est Trinité, alors que pourtant, on ne cesse de le prier ainsi sans s’en rendre compte. A la messe ou tout simplement en faisant son signe de croix, nous nommons Dieu : Père, Fils et Saint Esprit.

Entendons-nous bien, Dieu est unique, mais il se trouve que ce Dieu unique s’est révélé dans l’histoire et dans les Ecritures comme Père, comme Fils, comme Esprit-Saint. Il nous a été révélé ainsi, voilà la clé ! La Trinité en tant que réalité pour dire Dieu n’est pas une invention, en revanche, c’est cette appellation, ce mot « Trinité » qui en est une invention, puisque ce mot n’est apparu qu’au IVème siècle. La Trinité, c’est la façon dont Dieu s’est révélé. La Trinité, ce n’est pas d’abord un dogme, c’est l’expérience qu’on fait les hommes dans leur rencontre avec Dieu.

Toute l’histoire de l’Alliance entre Dieu et les hommes nous révèle cela. Les apôtres et bien avant le peuple juif avaient déjà fait l’expérience d’un Dieu qui se manifeste, qui s’exprime par la voix des prophètes. Et déjà dans l’Ancien Testament le livre du Deutéronome comme le prophète Isaïe font l’expérience d’un Dieu qui se comporte comme un Père pour eux : « C’est toi, Seigneur qui est notre Père » Is 63, 16. Mais la révélation pleine et entière de ce Dieu qui est Père ne trouve son accomplissement que par Jésus le Fils qui vient le révéler aux apôtres par sa vie et ses paroles : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » Jn 15, 15. Les disciples ont fait concrètement l’expérience de Dieu par le Fils. Voilà pourquoi nous concluons la prière eucharistique par ce qui est appelé la doxologie : « par lui, avec lui et en lui (il s’agit de Jésus, le Fils), à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, toute honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles ». Et puis le jour de la Pentecôte comme pour nous aujourd’hui en Eglise, nous faisons l’expérience de Dieu par son Esprit donné, c’est-à-dire par son amour et sa force laissé à chacun en vue d’être témoin d’une Bonne Nouvelle : le Christ est vivant, il aime chacun infiniment. La vie de Dieu en chacun par son Esprit ne se décèle pas facilement. Peut-être parce que nous en attendons des manifestations extraordinaires. Non, Jésus nous dit que tout don de soi accompli par quiconque et d’une façon désintéressée est le signe ordinaire et suffisant de la vie de Dieu en chacun. Toute personne a la potentialité d’offrir la vie de l’Esprit qui habite en elle, en générale, sans le savoir, car c’est un autre qui repère et qui discerne dans telle attitude, telle parole l’Esprit de Dieu qui est à l’œuvre. Je crois que c’est cela l’expérience de Dieu par l’Esprit.

Nous le voyons bien, la Trinité avant d’être un dogme, c’est le nom donné à l’expérience vécu par hommes avec Dieu qui se révèle à eux. Pour Dieu lui-même, la Trinité est un style de vie relationnel entre le Père, le Fils et l’Esprit. On parle de monothéisme Trinitaire (Père, Fils et Saint-Esprit) ou de monothéisme solitaire (Dieu tout court). Si notre foi était celle d’un monothéisme solitaire : Comment un Dieu qui ne serait qu’une seule personne pourrait-il s’incarner ? Essayons d’imaginer la situation. Un tel Homme-Dieu ne connaîtrait d’autre Dieu que lui-même : il serait l’adorateur de soi. Que pourrait-il dire ? « Je suis Dieu, prosternez-vous devant moi » ? Pourrait-il encore prier ? Vers qui se tournerait-il alors ? Que nous resterait-il de lui après sa résurrection ? Plus rien ! On voit bien que cela ne va pas, que ce n’est pas l’expérience de l’Evangile.

Si Dieu était solitaire, il serait un être unique qui se ferait face éternellement à lui même comme enfermé dans un narcissisme à peine concevable. Et bien la Trinité nous sort de ce cauchemar pour nous ouvrir à un style de vie relationnel en Dieu marqué par un échange, marqué par une circulation de l’amour au centre de laquelle Dieu place l’homme. Si Dieu se décline en trois personnes c’est pour dégager un centre. Pour Dieu, c’est l’homme qui est au centre, en vue d’amener l’homme à choisir en toute liberté de faire de Dieu le centre de sa vie.