Par Franck GACOGNE

Matthieu 6, 1-6.16-18

Miséricorde ! Ce mot serait-il désuet, démodé, vieillot ? C’est bien possible, nous ne l’utilisons pas couramment. En revanche, l’attitude que ce mot recoupe et veut décrire existe bien, elle. Le pape François nous invite à nous approprier cette attitude, tous spécialement dans ce temps de carême qui commence ce soir, il nous invite à en vivre.

Miséricorde… Le plus simple pour comprendre ce dont il s’agit est d’aller voir à quel moment ce terme est utilisé, par exemple dans l’évangile de Luc : Il est employé pour décrire les sentiments qui traversent Jésus lorsqu’il voit une veuve portant en terre son fils unique à la sortie de la ville de Naïn (Lc 7, 13). On le trouve encore dans la parabole du père avec ses deux fils. Le cadet est parti en claquant la porte et en dilapidant l’héritage. Ce mot de miséricorde vient au moment où le père aperçoit au loin son fils en train de revenir (Lc 15, 20). Il est enfin utilisé dans la parabole du bon samaritain, au moment où cet étranger de passage voit un homme blessé et abandonné au bord de la route (Lc 10, 33). Jésus ou le personnage de la parabole est profondément touché, il est remué jusqu’aux entrailles par la situation dont il est témoin. Et à chaque fois, ce sentiment profond est immédiatement accompagné d’un geste, d’une démarche : c’est une consolation de la part de Jésus envers la veuve ; c’est le fait de courir se jeter au cou de son fils pour le père ; c’est enfin de s’approcher, de toucher, de prendre soin de l’homme meurtris et blessé.

Nous le comprenons bien, cette attitude est à l’opposé de celle que Jésus dénonce dans ses trois exemples de la prière du jeûne et du partage. Non pas que Jésus remettrait en cause ces trois pratiques, au contraire, elles vont de soi, et elles nous sont proposées à vivre authentiquement dans ce temps de Carême. Mais ce que Jésus dénonce, c’est quand elles sont l’occasion d’une mise en scène quasi théâtrale, d’un calcul qui vise à en mettre plein la vue. Jésus nous invite non pas à vivre reclus, mais au contraire à vivre une telle proximité avec toutes les situations que nous rencontrons que nous puissions accueillir sans le rejeter ce sentiment de miséricorde et de compassion qui surgit face à la détresse, à la souffrance. Jésus nous appelle, dans le secret, à laisser nos mains, nos paroles mettre en œuvre une réponse aux situations que nous rencontrons.

Ecoutons ce que le pape François nous dit dans son livre qui introduit le jubilé de la miséricorde : « Au cours de cette Année Sainte, nous pourrons faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes, que le monde moderne a souvent créées de façon dramatique. Combien de situations de précarité et de souffrance n’existent-elles pas dans le monde d’aujourd’hui ! Combien de blessures ne sont-elles pas imprimées dans la chair de ceux qui n’ont plus de voix parce que leur cri s’est évanoui et s’est tu à cause de l’indifférence des peuples riches ! Au cours de ce Jubilé, l’Eglise sera encore davantage appelée à soigner ces blessures, à les soulager avec l’huile de la consolation, à les panser avec la miséricorde et à les soigner par la solidarité et l’attention. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur. Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et sœurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l’aide. Que nos mains serrent leurs mains et les attirent vers nous afin qu’ils sentent la chaleur de notre présence, de l’amitié et de la fraternité. Que leur cri devienne le nôtre et qu’ensemble, nous puissions briser la barrière d’indifférence qui règne souvent en souveraine pour cacher l’hypocrisie et l’égoïsme ». (Pape François, Le visage de la miséricorde, n°15)

Notre carême est tout tracé, les cendres que nous recevons sont le signe de la conversion à laquelle nous sommes appelés. Que par le Souffle de l’Esprit-Saint ces cendres deviennent ardentes et témoignent de Celui qui nous donne sa vie en abondance. « Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ».