Par Fr Éric BIDOT

Michée 4, 1-4 ; Galates 6, 14-18 et Matthieu 11, 25-30

Laudato si ! Loué sois-tu ! Depuis des semaines, cette salutation nous est devenue ou redevenue familière. Et pourtant, comment être dans la louange alors que les inquiétudes sont nombreuses : inquiétudes des réfugiés, inquiétudes des familles, inquiétudes des sans emploi, inquiétudes des lendemains de notre terre. Qui devenons-nous en ce temps de passage où tout paraît techniquement plus simple et humainement plus angoissant ?
« François, ne vois-tu pas mon Eglise qui tu le vois tombe en ruine ? » Ces paroles de Jésus crucifié et contemplé sur la croix, François, tu ne les as jamais oubliées. Elles ont marqué à jamais ta mémoire et ton être. Tu les as reçues comme un appel à prendre conscience du monde qui t’entourait et à entrer dans une maison plus grande que la tienne et à laquelle tu appartiens. Ton regard sensible de troubadour, ton regard d’expert sur les tissus, tout cela était insuffisant : il fallait cette parole de Jésus pour que tu ouvres les yeux sur ce que tu regardais depuis longtemps, mais que tu ne voyais pas réellement. Tu as compris ce jour-là que « ce qui compte, c’est d’être une création nouvelle » (Ga 6, 15) par une vie d’union au Christ Ressuscité, dans la foi opérant par la charité. Une vie par Dieu, pour Dieu et à Dieu ! Une vie à partir du pauvre, à partir des pauvres, à partir de celui qui porte dans son corps « les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 16). Ils sont nombreux les stigmatisés dans l’histoire, non pour leur propre gloire, mais pour signifier que le mystère pascal est au cœur de toute existence et que tout existence ne peut s’ouvrir véritablement qu’à l’amour vrai, plus fort que la mort.
François, je veux me souvenir que tu as été envoyé en mission avec cette seule parole reçue lors de la lecture de l’Evangile : « que le Seigneur vous donne sa paix ! » Cette parole a eu un grand retentissement en toi au point de t’exclamer : « voilà ce que je veux vivre ! » A mon tour d’écouter la Parole de Dieu avec un aussi grand désir que toi, au point de passer de l’écoute à l’action, en forgeant des socs avec les épées et des faucilles avec les lances (cf Michée 4, 3). Pourquoi la violence dans le cœur de l’homme ? Ne sera-t-elle jamais satisfaite ? Comment extirper la jalousie, l’orgueil, la domination qui, individuellement et collectivement, nous habitent ? La violence serait-elle une fatalité ? Tu nous as montré que non, François. Elle peut être guérie, en changeant de regard. Ta conversion, François, a été celle de ton regard : du regard qui veut profiter, accaparer, « mettre la main sur le créé », à celui qui veut se réjouir de l’autre et du créé. Pour cela, tu n’as pas arrêté de rechercher et de prêcher la pauvreté, non parce qu’il faudrait se complaire dans la misère, mais pour voir les personnes et la création selon leur réalité voulue par Dieu, belles et intègres.
N’oublions pas, François, que tu as chanté la création avec ces mots « Loué sois-tu, Seigneur », alors que tu étais presque aveugle, faible et portant les stigmates. Et là, pourtant, tes yeux étaient réellement ouverts ! Là tu as trouvé la force et la paix, ou plutôt tu as laissé Dieu chanter en toi et par toi. Tu es devenu chant de louange au cœur de ta faiblesse, par et avec frère Soleil, sœur Lune, frère Vent, sœur Eau, frère Feu, sœur notre mère la Terre et jusqu’à notre sœur la Mort corporelle. Là, tu nous as révélé le trésor de ta conversion dans le fait que le monde n’est pas un objet à dominer ou à posséder, mais il est la réalité splendide, « un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous » (Laudato si, n°76). Là, tu nous as fait connaître l’absolue paternité de Dieu, « Seigneur du ciel et de la terre » (Mt 11, 25), qui se laisse connaître par et dans le Fils unique, Jésus, que tu as aimé et fait aimer. Ce n’est pas par esthétisme ou par simple expression poétique que tu appelais « frères » et « sœurs » chacune des créatures. Tu voyais dans la création la marque imprimée par son auteur ; tu contemplais la grandeur divine et la sagesse incréée dans l’univers qui l’entoure. Cette perception de la destinée « religieuse » du monde a beaucoup frappé tes contemporains qui ont vu en toi un « homme nouveau » dans une nature réconciliée, anticipant les cieux nouveaux et la terre nouvelle. Bref un prophète d’un nouvel âge. Tu as rendu l’Evangile aimable, ce qu’il est en réalité, lorsqu’il est vécu les mains vides, en signe d’offrande et de disponibilité. Et la mort est bien notre sœur lorsqu’on l’aborde, les mains vides, pauvrement pour se laisser enrichir par Dieu lui-même, vie en abondance. « Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâce et servez-Le en toute humilité ».