Par Franck GACOGNE

Matthieu 21, 33-43

            « Toi, tu es chrétien, tu es dans l’Eglise. Mais ne serait-ce pas une secte par hasard ? » Je suis sûr que vous avez déjà entendu cette affirmation de la part de collègues de travail, dans des associations, de la part d’amis de collège ou de lycée, ou même de proches dans votre famille. Réjouissez-vous tout d’abord si vous entendez cette réflexion, car elle signifie au moins deux choses, tout d’abord que les groupes ou les réseaux que vous fréquentez sont vraiment diversifiés : chrétiens/non chrétiens, croyant/non croyants, mais aussi que dans ces lieux et avec ces personnes, vous n’avez pas peur d’être repéré comme chrétien, comme participant à la vie de l’Eglise.

            Il n’empêche que cette réflexion : « l’Eglise ne serait-elle pas une secte ? » peut faire mal et nous meurtrir. Parce que, bien que nous sachions repérer telle lourdeur, telle limite de l’Eglise, qui sont aussi les nôtres, nous y sommes finalement attachés à cette Eglise. Parce qu’ensemble, nous faisons l’apprentissage de ce que cela signifie d’être chrétiens, nous nous laissons transformer par la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ dans nos vies, nous y vivons des temps forts de fraternité et de partage. Cette remarque cinglante, elle arrive parfois de personne qui pense que devenir chrétiens, ou fréquenter un groupe d’Eglise, ce serait réduire leur espace de liberté, suivre des règles ou un code déterminé, ou encore plus ou moins être manipulé.

            Et bien je crois que les lectures d’aujourd’hui nous affirment exactement le contraire. On y voit Dieu offrir une liberté d’action et de réponse à l’homme tellement importante, qu’il est incapable d’en user avec sagesse et de l’utiliser pour son bien. Avec cette histoire de vigne dans l’évangile de Matthieu qui fait écho au livre d’Isaïe, Dieu bichonne cette vigne. Vous avez entendu, il en prend soin d’une manière extraordinaire : il commence par choisir un coteau plantureux, puis il retourne la terre, retire les pierres, il y met un plant de qualité, il la protège d’une clôture, la surveille et creuse un pressoir. Autrement dit, il s’acharne à mettre toute les chances de son côté pour que cette vigne produise beaucoup de fruit. Il donne ce qu’il a de mieux, parce qu’il y met toute son énergie et tout son cœur. Mais beaucoup plus encore, voilà que dans une confiance inouïe, il en donne la gestion totale à des vignerons et il part en voyage.

            Toutes les conditions favorables sont réunies, et une liberté pleine et entière est offerte : pourtant, nous le voyons dans la parabole, les vignerons ont profité de la terre, mais ils ont fini par refuser celui qui leur avait donné. Dieu vient jusqu’à donner son propre Fils, il nous donne Jésus. Et là encore dans une liberté inouï, Dieu accepte que son propre Fils puisse être rejeté, méprisé, crucifié, il accepte au nom de cette liberté originelle que l’amour soit refusé. Je crois que l’une des expressions sous-jacentes les plus employées dans les évangiles, c’est « si tu veux », si tu veux viens et suis-moi ; venez, et voyez… Vous le voyez, on est loin de l’embrigadement et de la contrainte.

            Les pharisiens à qui s’adressent cette parabole proposent de faire périr ceux qui ont rejeté le Fils (tout en ne comprenant pas que c’est d’eux dont il s’agit), mais ce n’est pas du tout l’intention de Jésus de condamner. Il respecte leur refus jusqu’à la croix où il est capable de dire : « Père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Jésus ne cherche en fin de compte qu’à proposer ce Royaume de Dieu, à d’autres, à ceux qui seront capable de mesurer le prix du don de Dieu, le prix du véritable amour partagé, parce que leur existence est en attente. Nous l’avons entendu dimanche dernier dans la bouche de Jésus : « les publicains et les prostitués vous précèdent dans le Royaume de Dieu ». C’est difficile à comprendre, cela signifie que le Royaume est donné à tous, mais qu’il faut en avoir soif pour l’accueillir. Dieu ne s’impose pas, mais si nous le cherchons au cœur de notre existence en voulant porter du fruit, nous vivons déjà de ce Royaume dont parle Jésus.

            Certainement que si nous sommes là ce matin c’est que nous voulons faire du Christ la pierre angulaire de notre foi, cette pierre, nous avons parfois du mal à la porter parce que le regard des autres est indifférent, dubitatif, parfois méprisant, mais cette pierre angulaire qu’est Jésus Christ, nous la choisissons délibérément et librement pour assurer les fondations de notre vie, et pour porter du fruit. Amen