Par Franck GACOGNE

Matthieu 22, 34-40

           Un commandement, c’est quoi ?  : « Fait ceci, ne fait pas cela… ! » La Bible est-elle de cette nature ? Le croyant doit-il être soumis à l’évangile comme un esclave à son maître ? Les commandements tombent-ils du ciel comme des météorites sans que l’on sache ni quand, ni où, ni pourquoi ? Non ! Et ce serait je crois une très grossière erreur d’avoir un tel rapport à l’Ecriture.

  • D’abord parce que dans la Bible, le commandement est toujours une réponse possible laissé à ma liberté. On pourrait plus justement l’appeler une re-commandation… il suffit pour s’en convaincre de voir le nombre de fois où le peuple de l’Alliance se contrefiche pas mal de ces commandements qui lui sont rappelés par les prophètes : « choisis donc la vie… » (Dt 30, 19), mais qui n’en fait qu’à sa tête, à ses dépens d’ailleurs.
  • Ensuite, parce que le commandement dans la bouche de Jésus est une réponse à un don de Dieu qui le précède. Autrement dit, Jésus ne nous commande pas ce qu’il ne commence pas par faire lui-même. C’est parce que Dieu nous prouve qu’il est amour par Jésus qui le signifie par le don de sa vie pour toute l’humanité, que réciproquement, comme une réponse, Jésus nous re-commande d’aimer Dieu unique, en le signifiant nous aussi par toute notre vie dans l’amour que l’on portera aux autres.

Quand on sait qu’il y en a dans l’Ancien Testament pas moins de 613 commandements, dispersés dans plusieurs livres, il y a vraiment de quoi s’y perdre. Ce docteur de la Loi qui vient rencontrer Jésus les connaît très bien, et il demande pourtant à Jésus de lui dire quel est le plus grand parmi eux. Malgré le piège, c’est un défi que Jésus accepte de relever. Et Jésus lui répond sur le premier des commandements, le premier non pas en terme de chronologie, mais en terme d’importance. Il cite « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » (Dt 6, 5) Mais immédiatement après, Jésus ajoute un second commandement (ce que ne lui était pas demandé), mais en disant que ce second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Ce second commandement n’est pas du tout à la suite du premier dans la Bible. Il se trouve dans un autre livre, celui du Lévitique. La nouveauté, c’est donc que Jésus prends deux commandements qui étaient dissociés et dispersés dans la Tora, il les joint et il conclu que tout ce qu’il y a dans la Bible dépend de ces deux commandements.

Si c’est facile de dire que l’on aime Dieu, Jésus nous dit : d’accord, mais prouve le par la manière dont tu aimes, dont tu es attentifs à ceux qui te sont proches. Inversement, beaucoup de personnes qui ne veulent pas entendre parler de l’Eglise, sont capables d’aimer authentiquement et de se donner pour des proches dans le besoin. Eh bien Jésus nous dit que cette attitude est semblable à celle d’aimer Dieu. Jésus ne fait pas d’amalgame, il ne fait pas d’un athée déclaré ou non un chrétien qui s’ignore ! Non, il nous invite simplement à reconnaître dans cette attitude l’amour de Dieu qui se manifeste, et en rendre grâce. Voilà pourquoi Jésus nous dit que ces deux commandements sont non pas identiques, mais qu’ils sont semblables, c’est à dire que l’un et l’autre comme les deux faces d’une même feuille révèlent l’homme comme infiniment aimé de Dieu. Dieu ne nous a pas prouvé son amour autrement que dans la façon dont Jésus rencontre, parle, guéris, pardonne, relève… et donne sa vie. C’est donc à la mesure que j’en prends conscience, que je dois le rendre.

Jésus n’abolit pas les 611 autres commandements ni toutes les autres prescriptions, mais il les considère comme autant de manière de conjuguer le verbe aimer. Aimer n’est pas un commandement qui contraint, mais au contraire qui libère, car il revient à chacun d’entre-nous d’inventer la manière qui nous sera propre pour être audacieux sur ce chemin du don et du partage. Au IVème siècle déjà, St Augustin avait cette formule : « Aime, et fais ce que tu veux », puissions-nous l’actualiser à travers les mots de frère Roger de Taizé qui disait : « Aime, et dis-le par ta vie ». Amen.