Par Franck GACOGNE

Mt 16, 21-27

Vous savez, parfois dans la liturgie, l’évangile est découpé en petits morceaux : un dimanche, nous en avons un extrait, et le dimanche suivant la messe nous propose un autre morceau qui ne le suit pas forcément dans la chronologie de l’évangile, et parfois même qui le précède. Nous avons alors du mal à nous y retrouver. Cette fois-ci, l’évangile de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui se suivent, quelle chance ! Et pourtant, il n’est pas du tout certain que cela nous aide à mieux le comprendre. Voici pourquoi. Dimanche dernier, Jésus se trouvait avec ses disciples aux sources du Jourdain, et c’est là qu’il leur posait LA question source : « pour vous qui suis-je ? » Je crois que c’est la question la plus fondamentale que nous devions nous poser. Et plein de fougue, Pierre avait alors pris la Parole pour lui dire : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». Jésus l’avait alors déclaré « heureux » pour cette révélation qu’il avait exprimée et il lui a confié une mission majeure pour la construction de son Eglise. Et bien voilà qu’aujourd’hui, ce même Pierre, immédiatement après, se fait reprendre sans ménagement, presque violemment par Jésus : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route ». Comment comprendre ce retournement de situation, Pierre est-il donc un atout ou un obstacle pour Jésus ?

Je crois qu’il faut tout simplement comprendre que Pierre est un peu comme nous et qu’il nous ressemble beaucoup. Il a des convictions fortes, une foi profonde qu’il est souvent capable d’exprimer et de mettre en œuvre, (c’est par exemple lui qui se jette à l’eau, pour rejoindre Jésus, le premier qui entre dans le tombeau…), mais Pierre fait aussi des erreurs (par exemple quand il refuse que Jésus lui lave les pieds), ou bien il fait preuve de lâcheté (pensons aussi à sa fuite et son reniement à l’arrestation de Jésus) ; finalement, sa foi en Jésus, comme la nôtre est bien réelle, mais elle a toujours besoin de grandir de s’affermir, de se former. Car il est nécessaire que notre témoignage de foi soit ajusté au vrai visage de Dieu pour que nous ne soyons pas un obstacle à l’acte de croire, mais qu’au contraire nous puissions faciliter le questionnement des personnes qui sont en recherche de sens, de vie, de Dieu.

Je suis convaincu que l’une des plus grandes cause de l’incroyance aujourd’hui, ce sont de fausses idées de Dieu. Souvent quand je rencontre quelqu’un qui me dit : « je ne crois pas en Dieu » et que je sens qu’il veut aller plus loin et qu’il est prêt à en parler, je lui demande quelles images il a de Dieu, comment il se le représente. Et bien souvent, j’entends des descriptions terrifiantes et erronées : Un Dieu infantilisant, pervers, vengeur, interventionniste, magicien… que sais-je encore. Une multitude de représentations tenaces et terribles qui me font conclure devant cette personne : « et bien vous avez raison, et je suis d’accord avec vous on ne peut pas croire en un Dieu tel que vous le décrivez », tout simplement parce qu’un Dieu comme celui-ci est in-croyable pour toute personne sensée. La formation chrétienne (par des lectures, des groupes de partage, des parcours de formation, les soirées « il était une foi » etc.…) tout ceci est indispensable pour que chacun de nous soit capable de déconstruire les fausses images de Dieu que nous portons et qui sont des obstacles à l’acte de croire, rendant Dieu incroyable voire repoussant. Il y a je crois ici un enjeu très important, pour que le Dieu dont nous sommes témoin soit réellement le Dieu révélé par Jésus-Christ.

Et bien Jésus reproche précisément à Pierre d’être un obstacle à la foi. Parce que Pierre porte une fausse image de Dieu. Il est persuadé que puisque Jésus est le Fils de Dieu, le Messie, jamais il ne sera amené à souffrir, et encore moins à être tué. Mais Pierre fait fausse route. Parfois comme Pierre, nous pensons que la puissance de Dieu se manifeste dans ses paroles, dans ses actes de guérison, dans son autorité…autrement dit comme un super héro. Mais ce n’est pas vrai, et Jésus le dit vigoureusement à Pierre. La plus grande manifestation de la puissance de Dieu, elle n’est pas dans le fait que puisqu’il est Dieu, il serait aussi une sorte de surhomme capable d’échapper à la souffrance et à la mort. Non, parce qu’alors en quoi un tel Dieu me rejoindrai dans mon existence et dans ma vie qui, elle, est bien soumise à ces difficultés. La puissance de Dieu se manifeste au contraire dans le fait que Jésus tout en étant Fils de Dieu, traverse lui aussi l’épreuve, la souffrance et la mort au cœur à cœur, au corps à corps avec nous. Mieux encore, il nous y devance. La plus grande révélation de la puissance de Dieu, c’est la croix parce qu’elle est le signe de l’amour de Dieu pour chacun de nous. Un amour sans limite qui va jusqu’au bout sans se défiler. C’est la croix qui nous révèle à quel point Dieu nous aime. Voilà pourquoi Jésus se met en colère quand Pierre cherche à l’en préserver.

Prenons quelques instants pour contempler le Christ sur la croix. Si dans chaque célébration où nous entendons dire de Dieu qu’il est tout puissant nous pouvions penser à la croix, alors nous aurons compris que Dieu n’est puissant qu’en amour, parce qu’il est vulnérable avec nous sur un chemin difficile. Mais avec Jésus, Dieu nous en relève. Amen.

par Franck GACOGNE

Mt 16, 21-27

Jésus