par Franck GACOGNE

Luc 23, 35-43

        Le Christ-Roi : c’est aujourd’hui une fête pour deux raisons, d’abord parce que ce dimanche vient clôturer l’année liturgique, car dimanche prochain, nous entrons dans le temps de l’Avent qui nous fera cheminer jusqu’à Noël. Et bien entendu parce que c’est une fête aussi pour cette église de notre paroisse qui porte ce nom. L’appellation de cette fête est « le Christ, roi de l’univers ». Rien que ça, me direz-vous, ne serait-ce pas manquer un peu de modestie et de retenu ? Nous affirmons le Christ-Roi de l’univers, et pourtant, il semblerait que les magazines people ne parlent pas de ce roi-là. Loin du « bling bling », du clinquant ou des mondanités, cette fête nous invite à entrer dans un paradoxe inouï : car ce Christ qui est roi, son trône c’est la croix ; sa couronne est faite d’épines ; et son peuple l’acclame à coup d’injures et de moqueries. Un tel roi peut-il donc servir à quelque chose ? En quoi consiste son règne et son pouvoir ?

        Ce roi a-t-il une quelconque puissance ? Je crois que l’on se trompe souvent quand on parle de « la puissance de Dieu ». Pourtant vous avez dû remarquer, à la messe, on ne cesse d’en parler : « Que Dieu tout-puissant nous fasse miséricorde », « que Dieu tout-puissant vous bénisse » etc… La Bible parle bien de la puissance de Dieu, mais elle n’évoque pas sa « toute-puissance », c’est-à-dire une puissance qui s’exercerait de façon absolue et sans limite. L’Eglise des premiers siècles a reprit le mot grec « Pantocrator » pour qualifier le Christ, mais Pantocrator ne veut pas dire « celui qui peut tout », mais plutôt « celui qui tient tout dans sa main » (He 1, 3). La traduction de « Pantocrator » par  « tout-puissant » a rendu le mauvais service de faire croire que Dieu, tel un magicien ou un sorcier, pouvait faire à la limite tout et n’importe quoi, et traverser autant qu’il le voulait ma liberté. Cette mauvaise traduction conduit à croire Dieu comme celui qui nous domine d’en haut, alors qu’au contraire, elle veut signifier que Dieu nous sauve, c’est-à-dire nous prends dans ses mains pour nous accueillir et nous relever.

        Mais quel est donc le lieu où la puissance de Dieu se manifeste le plus clairement ? Et bien je crois que cet évangile nous le dit, c’est dans la croix, c’est sur la croix. C’est d’ailleurs ce que répond Jésus à l’un des deux malfaiteurs à ses côtés : il lui dit que c’est « aujourd’hui » c’est-à-dire là, sur la croix, dans ces circonstances d’échec apparent, que son règne est inauguré. Quand la puissance de Dieu se déploie, écrit saint Paul (2 Co 12, 9-10), ce n’est pas dans la force, mais dans la faiblesse. Jésus, le Fils de Dieu assume jusqu’au bout l’épreuve de la mort. Pas par défaitisme, il ne baisse pas les bras, il dit dans l’évangile de Jean : « ma vie, nulle ne la prends, c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Attention, Jésus n’est pas non plus un fanatique suicidaire : La croix n’est pas un choix qu’il veut vivre, mais bien plutôt une circonstance qu’il assume. La croix n’est ni voulue, ni recherchée, elle est la conséquence d’une fidélité sans faille à sa mission. Elle est là, la toute puissance de Dieu ! C’est d’être allé jusqu’au bout. Jésus n’a pas jeté l’éponge au moment de l’épreuve. La puissance de Dieu n’est qu’amour. Elle n’est pas un outil magique pour nous faire échapper aux épreuves (puisque lui-même n’y échappe pas). Cette puissance, c’est le fait que, Dieu lui même, traverse ces épreuves, en Jésus, Dieu lui-même est passé par là. Par la croix, Dieu nous a devancés comme dit le chant. Et quelle puissance il a ainsi manifesté ! Voilà qui donne du sens à cette fête : « Christ, roi de l’univers », parce que régner pour le Christ, c’est servir en étant fidèle jusqu’au don de soi-même.

        Je crois que chaque fois que nous décidons de servir en donnant de nous-mêmes, que nous soyons ou non chrétiens, c’est le règne de Dieu qui se donne à voir. Dans la prière du Notre Père, quand nous demandons à Dieu « Que ton règne vienne », nous lui demandons la force de contribuer à le manifester comme Jésus l’a fait et de le découvrir autour de nous dans tout acte de service et d’amour donné.

        Voilà, nous venons de faire le portrait de ce roi : Christ, un roi de l’univers inédit. Et personnellement, un tel roi m’intéresse et m’attire beaucoup plus, que les monarques dont on étale la vie dans les magazines.

        Prenons quelques instants pour contempler le Christ sur la croix. Et si dans chaque célébration où nous entendons dire de Dieu qu’il est tout puissant nous pouvions penser à la croix, alors nous aurons compris que Dieu n’est puissant qu’en amour, parce qu’il s’est fait vulnérable avec nous sur un chemin d’humanité. Mais par lui, Dieu nous en relève. Amen.