par Franck GACOGNE

Amos 6, 1a.4-7 et Luc 16, 19-31

        Quand on est parent d’adolescent on ne peut s’empêcher de sourire à l’écoute du prophète Amos qui nous parle d’une « bande de vautrés couchés sur leur divan ». Je ne serais pas surpris que l’un ou l’autre d’entre vous se dise : « tiens, cela me rappelle quelqu’un ! ». Je vous invite aussi à lire le livre des Proverbes. Il est lui aussi truffé d’analogies qui donnent à penser et souvent à sourire comme celle-ci par exemple : « La porte tourne sur ses gonds, et le paresseux sur son lit » (Pv 26, 14). Aussi contemporains qu’ils nous paraissent, n’oublions tout de même pas que ces textes ont près de 25 siècles, et l’évangile plus tard en donne encore une autre illustration : voilà que deux mondes semblent coexister l’un à côté de l’autre : le monde de l’homme riche, et le monde de Lazare. Vous remarquerez que l’on ne connaît pas le nom de l’homme riche. Ce qu’il porte : « des vêtements de luxe » ; et ce qu’il fait : « chaque jours des festins somptueux », suffit amplement à décrire l’identité de cet homme. En revanche, le pauvre, qui lui n’a rien, lui qui dans sa misère est encore plus mal loti que les chiens qui viennent lécher ses plaies ; et bien ce pauvre, lui, porte un nom c’est-à-dire une dignité. Il s’appelle Lazare, nom qui signifie : « Dieu a secouru ». Par ce nom, il est donc reconnu, appelé et estimé d’une manière unique par Dieu. Nous voyons dans ce passage que Lazare a remarqué la présence de l’homme riche juste à côté, il est à sa porte et semble en espérer un réconfort. En revanche, l’homme riche n’a à peine remarqué la présence de Lazare. Mais voilà que survient ce qui est commun et inéluctable pour tout le genre humain et tout vivant : l’un comme l’autre meurent.

        Je crois qu’il ne faut pas se tromper sur la pointe de ce texte : son objectif n’est pas de dire : « puisque toi tu as été bon et pauvre toute ta vie, tu es maintenant récompensé » ; et à l’autre : « puisque-toi tu as été riche et mauvais toute ta vie, tu es maintenant puni ». Même si c’est ce qui semble arriver dans cette histoire, je crois que la visée de l’évangile n’est pas là, dans cette espèce de manichéisme selon le mérite. Je pense que le cœur du message est à la fin de l’histoire, quand le riche demande que ses frères qui sont restés soient prévenus pour qu’ils se convertissent. Et Abraham de lui répondre qu’ils n’ont cessés de l’être jusqu’à présent par Moïse et les prophètes et que même la résurrection d’un mort ne leur ferait ni chaud ni froid.

        De la même façon, il y a plein de moments dans notre vie où l’on se dit après coup : « Ah, si j’avais su… ». Si j’avais su que cette formation pour les adultes pouvait être aussi nourrissante pour ma foi, et me faire redécouvrir un visage de Jésus aussi désirable et inattendue. Si j’avais su que je pouvais trouver autant de joie et de plaisir à rencontrer des personnes, au départ inconnues, dans un simple repas partagé. Si j’avais su… Et pourtant, comme l’homme riche, la plupart du temps nous savons tout cela, parce que plein de gens autour de nous en témoignent… Mais on n’imprime pas ! Ces informations, ces témoignages sont comme noyés au milieu de tant d’autres, et surtout bien souvent nous avons du mal à les hiérarchiser selon leur importance. Alors tout se vaut, tout est nivelé, et aucun de ces témoignages ne fait électrochoc au point de vouloir choisir et envisager autre chose que ce à quoi notre vie nous conduit, parfois malgré nous. L’électrochoc ! Voilà ce que réclame le riche pour que ses frères se convertissent.

        « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus ». Pour tous les hommes de tous les temps, ce surgissement, cet électrochoc, il s’est déjà produit dans l’histoire : c’est la résurrection de Jésus, afin que nous soyons tous avec lui des ressuscités. « Ils ne seront pas convaincus » : oui, il n’en demeure pas moins en effet que chacun reste libre de croire qu’il y a là un tournant dans l’histoire. Pourtant, je crois que en Jésus, par lui, et avec lui, Dieu a tout donné, et aujourd’hui encore à cet instant, il donne tout et se donne dans l’eucharistie : « ceci est mon corps, ceci est mon sang » : ma vie pour vous. Quel électrochoc le fait d’écouter la Parole de Dieu et de communier à sa vie produit-il en moi ? Des non-croyants disent parfois de ceux qui vont à l’église : « Oh ! Ils ne sont pas meilleurs que les autres ! » Nous ne pouvons pas évacuer ces remarques dérangeantes du revers de la main, car St Jean en fait une condition : « tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». C’est la pierre de touche, le critère décisif qui vérifie la qualité évangélique de notre vie. Alors, sachons nous saisir de ce qui va la manifester ainsi. Amen.