par Eric de NATTES

Matthieu 5, 1-12a

Tes paroles me brûlent en ce jour Seigneur. Elles me brûlent parce que je continue de croire de tout mon être qu’elles sont vérité, vie et chemin pour nous humaniser. Et que tout mon être y aspire. Et pourtant, tout ou presque parfois, dans ce monde dans lequel je vis, semble s’y opposer et les tourner en dérision. Tes paroles me brûlent en ce jour Seigneur parce que je sais bien que l’enjeu de Ta présence parmi nous, de toujours à toujours, est celui de la vie ou de la mort. Déjà, dans les temps anciens, Dieu demandait à Israël ‘’choisiras-tu la vie, choisiras-tu la mort ?’’ Alors j’écoute :

Heureux les pauvres de cœur, nous dis-tu Seigneur ! Et nous voyons s’étaler sur les réseaux sociaux, à la télévision, un peu partout, des figures absolument vides, voire décérébrées, mais boursoufflées, qui se pavanent dans les tenues les plus improbables, tenant les discours les plus ridicules et qui ont pour seule légitimité… la célébrité : pour quoi ? pour la célébrité elle-même, rien d’autre ! Société du spectacle ! Pour en faire quoi ? Du fric, uniquement cela ! On nous dit que ce sont des ‘’influenceurs’’… ça fait froid dans le dos si ce sont eux qui influencent ! Et nous voyons des millions d’ados rêver d’argent facile, sans but, sans aucun horizon que le buzz du moment, et qui nous regardent avec condescendance parce que nous gagnons notre vie honnêtement, avons un travail que nous croyons utile, des combats associatifs que nous jugeons nécessaires pour le bien de l’humanité.

Heureux les doux, ils obtiendront la terre promise, nous dis-tu Seigneur ! Et nous voyons un peu partout dans notre monde des populations derrière des dirigeants politiques qui les font rêver de grandeur, de domination économique, d’empire passé à restaurer, prêts à mentir sur tout ou presque, à falsifier la réalité sans l’ombre d’un scrupule, prêts à instrumentaliser les croyances religieuses. N’ont-ils pas compris ces peuples dont on utilise la colère et les passions tristes, que nous serions tous les perdants de cette histoire-là, avec le malheur au bout et l’enrichissement des vendeurs d’armes à la clef ?

Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu nous dis-tu Seigneur !  Et nous regardons effarés des fanatiques égorger des gens au nom de Dieu. Et pourtant un peuple immense continuera d’aller prier car il ne veut pas se laisser gagner par une telle gangrène et qu’elle parvienne à tuer l’esprit, pas seulement les corps.

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice et sont même persécutés pour elle, nous dis-tu Seigneur ! Il faudrait être aveugle pour ne pas constater que la richesse se concentre à nouveau et que sa répartition fait de plus en plus problème ; aveugle pour ne pas constater que le travail de l’homme n’est plus la valeur qui guide l’économie en profondeur, mais en réalité une finance avide, sans autre valeur que l’argent pour lui-même. Et pourtant un peuple immense continue de vouloir partager non pas seulement ce qu’il a, mais ce qu’il est, pour la richesse de tous, à travailler la terre pour qu’elle nourrisse tout le monde et soit préservée.

Heureux ceux qui sont persécutés à cause de moi, leur récompense sera grande dans les cieux, nous dis-tu Seigneur ! Mais qui, Seigneur, croit encore que la vie est autre chose qu’un hasard dont nous cherchons l’enchaînement improbable et d’autres traces dans un univers glacé, comme de petits orphelins en quête d’une famille. On nous l’assène à longueur d’émission et d’ouvrage. Il faut de la persévérance pour maintenir la porte ouverte et ne pas raccourcir l’horizon aux deux bouts de notre naissance et de notre mort biologique. Heureux le peuple des ‘’barjots’’ qui accueille les acquis de la science avec reconnaissance, mais qui n’a aucune certitude à asséner sur l’après. Ils gonflent de leurs petits souffles les voiles de la vie aux dimensions infinies de l’esprit, de l’espérance. Bienheureux êtes-vous dans nos cœurs blessés, vous qui êtes allés ce matin-là prier votre Seigneur, en paix, dans la basilique qui portait le nom de sa mère. Nous voulons croire que votre vie est en Dieu désormais, que vous n’êtes pas que des symboles.

Et voilà Seigneur que, pour couronner le tout, nous allons devoir cesser de célébrer ton nom, ta parole, ta présence dans le culte publique. Malgré nos masques, notre distanciation, le gel que nous mettions, mais ‘’nous ne sommes pas une activité essentielle…’’ cela aussi nous voilà obligés de l’entendre, comme les libraires, comme tout le monde de la culture, le monde associatif, et à mettre notre mouchoir par-dessus, en silence ! Nous ne rapportons pas d’argent, pas un kopeck ne nous sera versé pour survivre économiquement. Il nous faut obéir, nous adapter et survivre. Pourtant, chaque jour nous fait voir combien il serait urgent de tenir des ‘’états généraux de la vie de l’esprit’’, un ‘’grenelle du sens de nos vies’’ qui pourrait préconiser des réformes profondes dans l’éducation, les lieux d’écoute et de dialogue, la vie citoyenne, qui ne soient pas réservés à une élite cultivée ou accessibles seulement moyennant finances.

Ô Seigneur, quelle folie que le monde, parfois !

Alors en ce jour, le cœur meurtri mais brûlant de Toi, nous entendons tes paroles de feu. Heureux le peuple immense de celles et ceux qui vivent les Béatitudes sans les tambours et trompettes des réseaux sociaux. Heureux ce peuple immense des doux, des humbles, des pacifiques, des justes. Nous les saluons tous en leur disant « votre sainteté ». C’est vous ce peuple immense que nous célébrons en ce jour. Nous vous bénissons au nom du Seigneur. Tenez ferme, votre récompense sera grande dans les cieux. Car oui, notre folle espérance va jusqu’à croire que la vie est peut-être plus vaste que notre forme biologique, ici, aujourd’hui, maintenant. Qu’être en vie et être vivant ne sont peut-être pas deux choses identiques.

Amen