Par Eric de NATTES

Matthieu 25, 13-16

Sel / Lumière

Deux éléments comme invisibles et sans lesquels le visible perd sa vitalité, sa consistance, ou presque. Le sel qui se dissout dans le plat et qui lui donne pourtant sa saveur ; la lumière immatérielle qui se fond au paysage et qui le fait pourtant apparaître et le transfigure, le magnifie.

 

Au fond chacun de nous sait cela et l’expérimente. La même réalité Mon activité professionnelle : lieu d’épanouissement dans des relations de confiance et de justice ou lieu de stress, voire d’angoisse dans des rapports faits de mépris ou de manipulations ; mon couple : lieu de tendresse et de vérité qui est la pierre angulaire de ma vie ou cauchemar de violence et de dissimulation qui me détruit ; mon réseau d’amitié : terreau fertile de gratuité et de partage, ou désert stérile d’instrumentalisation ou de liens mondains convenus ; ma vie associative : respiration de mes combats partagés avec d’autres ou terrain de jeu de l’affirmation d’égos démesurés en manque perpétuel de reconnaissance ; ma communauté : un espace d’écoute, de partage de la foi, de la vie, de bienveillance et de joie ou un lieu de passivité, de critique, d’indifférence.

 

Veiller au sel et à la lumière, c’est la première de toutes les exigences donc. Et nous savons que ces deux petites paraboles viennent juste après les Béatitudes : pauvreté de cœur (l’inverse du désir de profiter de telle activité ou de tel lieu ou de telle relation pour l’envahir de mon égo), la douceur (l’opposé d’une violence, de quelque nature qu’elle puisse être : verbale, dans l’attitude, dans une confrontation permanente), la justice – elle revient deux fois dans les Béatitudes – (avant toute charité ou aide, ou réconfort : la justice sans laquelle tout devient tordu), la miséricorde (la mesure que nous utilisons pour l’autre sera utilisée pour nous, nous rappelle l’Évangile), pureté de cœur (le regard que nous portons intérieurement et qui détermine tant nos relations, notre manière d’être), pacifique (le premier des biens sans lequel la vie devient si compliquée)… 

Veiller à cela est extrêmement exigeant. Naturellement nous allons me semble-t-il vers deux tendances : la performance, le résultat, le quantitatif (bref, ce qui se mesure facilement et qui se voit : cela, on en parle, on en est fier ou s’en inquiète) et d’un autre côté nous aimons tant retirer la paille de l’œil du voisin. Or je ne peux jamais exiger de l’autre une remise en question si je ne me suis pour moi-même sérieusement questionné.

 

Lorsque le Seigneur dit « vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde », s’il appelle chaque disciple à veiller à ce qui est indispensable à la vie, c’est à la communauté aussi qu’il s’adresse par ce « vous ». Il connaît les limites de chacun. Mais unis, reliés en communauté, alors nous sommes ensemble ce sel et cette lumière par nos engagements, nos activités, nos talents, notre souci collectif des Béatitudes. Si je peux me désoler de mes pesanteurs, je peux aussi reprendre vie en voyant tel frère, telle sœur relié(e) à toi Seigneur dans la tendresse auprès des malades, dans l’accompagnement patient de l’immigrant, dans le soutien au pauvre, dans la solidité lumineuse de sa foi, dans la fidélité à la prière, dans l’écoute attentive de ta parole… Nous sommes alors ton corps Seigneur, aux multiples charismes. La fadeur ou l’obscurité de ma petite personne peut alors prendre goût et retrouver des couleurs par le lien à l’ensemble.

Aujourd’hui, merci à vous, l’équipe de la pastorale de la santé pour votre présence pauvre, humble, pacifique, douce, auprès des malades. Vous portez au nom de la communauté cette attention du Seigneur, tout au long des Évangiles, à ce peuple souffrant dont il s’est toujours fait proche. Et si bien sûr, chacun de nous peut porter dans le silence de sa propre vie le soutien patient à un proche qui souffre, vous avez mission de vous faire proche, au nom de Jésus, de son corps, notre communauté, de celles et ceux que nous ne visitons pas personnellement.

Soyez bénis, vous êtes sel et lumière, Évangile vécu sans ostentation, dans le service.