Par Amos BAMAL

Marc, 9, 38-43, 45, 47-48

                         « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».

Les textes bibliques de ce dimanche nous invitent à accueillir le don de Dieu partout où il se manifeste. Ils nous provoquent également à la tolérance et à l’ouverture. Josué, l’auxiliaire de Moïse et Jean, l’un des Douze font preuve d’intransigeance. Dans la première lecture, Moïse vient de désigner 70 anciens pour les associer à la direction du peuple. Dieu lui a promis de répandre son Esprit sur eux. Or voilà que deux hommes (Eldad et Médad) se mettent à prophétiser sans avoir été mandatés. Josué les dénonce à Moïse : « Comment est-ce possible ? Ces hommes n’étaient pas avec nous et ils prophétisent ! Il faut les arrêter, les empêcher. Ils ne sont pas légitimes, ils ne sont pas des nôtres ». Moïse, loin de s’en offusquer lui fait comprendre qu’on ne peut empêcher l’Esprit de souffler où il veut. Personne n’en a le monopole. Le don de Dieu n’a pas de frontières.

Dans l’évangile, c’est un peu la même question qui est posée à Jésus. Les apôtres sont contrariés de voir un homme qui chasse les esprits mauvais sans appartenir à leur groupe. Leur réaction très humaine est de vouloir conserver un certain monopole, ou ce que l’on pourrait appeler « le droit d’exclusivité ». Nous sommes naturellement portés à nous méfier de ceux qui ne sont pas de notre bord. Le sectarisme n’est pas d’aujourd’hui. Mais Jésus fait preuve de grande ouverture : n’empêchez pas ceux qui font le bien même s’ils ne sont pas de votre clan. On n’enchaîne pas l’Esprit, on ne le met pas en bouteille. Il agit aussi en dehors de nos structures, en dehors de l’Eglise. Il travaille aussi dans l’humanité tout entière. Qui pourrait faire taire le vent ?

La mission confiée par Jésus aux disciples ne les établit pas dans l’exclusivité, comme si, en les choisissant et en les instituant Jésus leur donnait une sorte de capacité de s’approprier cette mission. Autrement dit, l’élection que Dieu a faite de son peuple, que Jésus a faite de ses disciples, la mission qu’il leur a confiée, ne les rend pas propriétaires de Dieu. Leur mission leur donne un pouvoir d’annonce de l’évangile, un pouvoir de médiation, un pouvoir d’appel, la capacité d’ouvrir les richesses de l’Eglise à ceux qui ne les possèdent pas. Mais elle ne leur donne pas la capacité de fermer la générosité de Dieu, de bloquer les capacités de Dieu à toucher le cœur de l’homme. On ne peut que se réjouir de tout ce qui se fait et se vit en bienveillance, en bonté, en fraternité et solidarité, en amour du prochain en dehors de la communauté de l’Eglise. Chaque fois que quelqu’un fait le bien, il se rapproche de Jésus et Jésus de lui.

Mais comment recevoir donc dans nos communautés, non seulement ceux et celles que nous ne connaissons pas, qui ne sont pas des nôtres, qui ne nous suivent pas habituellement, et qui pourtant ont eu le cœur touché par Dieu d’une façon qui ne dépend pas de nous ? Car Dieu parle au cœur de chaque homme comme il veut. Il suscite au cœur de tout homme des appels, des demandes et des désirs que nous ne pouvons pas imaginer. Et la véritable barrière qui empêche des personnes nouvelles d’entrer dans notre communauté et dans notre Eglise, n’est pas leur manque d’ancienneté, mais le fait que nous-mêmes pouvons être parfois pour eux une cause de scandale. Le principal obstacle à l’évangélisation, vient de ce que la Parole de Dieu n’a pas encore complètement transformé notre vie et que nous ne sommes pas suffisamment convertis à l’évangile.

Si Jésus demande ce dimanche qu’on laisse faire le bien qui s’accomplit même en dehors de nous, il s’indigne néanmoins qu’on puisse sciemment entraîner quelqu’un au mal. Il peut arriver, pour reprendre les images de l’évangile du jour, que notre main, notre pied, ou notre œil deviennent objet de scandale. Jésus nous demande de couper et de trancher. Il ne s’agit pas de mutilation ; si l’évangile insiste sur cet obstacle radical à l’évangélisation, ce n’est pas pour nous décourager ou pour nous culpabiliser. Il veut nous aider à comprendre à quel endroit se situe ce qu’il faut changer. Ce qui nous est demandé c’est de rompre d’une manière catégorique avec ces habitudes qui nous entraînent au péché. Le Seigneur attend de nous un véritable retournement : que notre main soit tendue vers Dieu et vers les autres, que nos pieds marchent à la suite de Jésus, que nos yeux voient les autres avec le même regard de Dieu, un regard plein d’amour et de tendresse.

Frères et sœurs, le Christ en s’acheminant vers sa passion, essaye de former ses disciples pour qu’ils construisent l’Eglise telle que Dieu la veut. Jésus leur apprend que l’Eglise n’est pas structurée par une logique de pouvoir mais par une logique de service. Il leur enseigne que l’Eglise ne se construit pas comme un ghetto refermé sur lui-même pour sauver ses biens et ses valeurs, mais qu’elle est un peuple au cœur ouvert par la générosité de Dieu.

Il ne s’agit donc pas pour nous de devenir les représentants d’une exclusion, d’une fermeture, d’un rejet. Mais de devenir disciples de celui qui a ouvert ses bras sur la croix pour apporter le salut au monde entier.

Amen.