par Jean-Pierre GILNET

Matthieu 4, 1-11

« La quarantaine spirituelle de Jésus m’interpelle »

Frères et Sœurs bien-aimés,

Nous voici au tout début d’un nouveau temps liturgique. Depuis mercredi les cendres nous commençons le temps de carême. Du latin, quadragesima dies, quarante jours.  Dans l’Eglise latine, le carême dure quarante jours, du mercredi des cendres jusqu’au repas de la Cène du Seigneur, le Jeudi Saint. Ce temps fort, le carême, est une quarantaine spirituelle. Dans l’Ancien Testament, il nous renvoie au déluge (inondation) provoqué par une pluie violente qui a duré quarante jours et quarante nuits avec Noé (Gn 7,1-24) ; il nous renvoie aussi à l’histoire du peuple d’Israël qui a séjourné quarante ans au désert après la libération de l’Esclavage en Egypte (Ex 1, 1-22) ; on se rappelle aussi la prédication de Jonas à Ninive « encore quarante jour Ninive sera détruite » ( Jonas 3,1-4)… Dans le Nouveau Testament, le temps de carême nous permet de revivre avec Jésus son séjour au désert où il a passé quarante jours et quarante nuits. En effet, le désert, est non seulement un lieu de prière mais aussi et surtout un lieu de confrontations et d’affrontements. Aujourd’hui encore, le désert est là sur nos routes pavées d’embuches et de tentations. Qui n’a pas fait ou n’a pas besoin de faire cette expérience dans sa vie ?

Le temps de temps de carême est un temps pour nous guérir et prendre le chemin du salut. Certains, le considère comme un temps de combat à la fois corporel et spirituel. D’abord un combat corporel en tenant compte des privations de l’abstinence et de la continence. Ses deux exigences nous invitent à discipliner notre corps et à orienter nos vielles pensées parfois qui ne nous conduisent vers les tendances de la chair. Ensuite, un combat spirituel par les « exercices du chemin de croix » que l’Eglise nous propose pour méditer sur les grands moments de la vie de Jésus. Ce sont des pieux exercices de foi qui nous rappellent toutes les souffrances que Jésus a enduré pour nous qui sommes ses frères et sœurs. Jésus s’est livré pour nous soulager du combat spirituel avec les forces du mal : « Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Le séjour de Jésus au désert s’inscrit dans une optique spirituelle en vue de nous frayer une porte de sortie dans nos différents combats spirituels. Qui n’a pas besoin de la force pour mener ces deux combats ?

Au désert, Jésus a mené un grand combat et résiste à toutes les formes de tentations. D’ailleurs, ce premier dimanche de carême est baptisé « dimanche de la tentation ». Dans l’Évangile du jour (Mt 4,1-11), Saint Mathieu nous présente Jésus dans son humanité (faiblesse) et aussi dans sa divinité (force). Au sens de Walter Kasper, le Jésus qui est vrai Dieu et vrai homme. Dans son humanité, au désert, Jésus avait réellement faim et soif. C’est un manque, une privation qui fait sa faiblesse. L’Anthropologue Abraham Maslow, dans la pyramide des besoins de l’homme, classe les besoins du manger et du boire au premier rang. Ce sont des besoins biologiques existentiels. C’est dans cette situation de faiblesse humaine que le diable venait tenter Jésus. La tentation du pain. Mais, Jésus a dévié cette tentation en transportant la logique humaine sur la logique divine : « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Nous devons, pendant ce temps de carême et toute notre vie, contempler Jésus qui malgré les privations ne se laisse pas manipuler. Ne nous laissons pas manipuler et même exploiter à cause de certaines privations. Jésus a fait pareil pour la deuxième tentation qui met en relief la recherche de la gloire humaine. Il a rejeté de nouveau les offres du malin tentateur en montrant qu’il ne suffit pas de courir après son bien-être, une carrière ou les sécurités humaines. Ce qui importe c’est la gloire de Dieu : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné » (Mt 6, 33).  La troisième tentation est repoussée parce que Jésus voulait rester attacher à son Père et à lui seul en citant un article des dix commandements de la loi mosaïque : « Un seul Dieu tu adoreras ». Jésus nous invite à éviter l’idolâtrie. C’est un péché qui rompt notre relation avec Dieu. Nos premiers parents (Adam et Eve) s’étaient éloignés de Dieu en obéissant aux ordres de Satan et ne veulent plus s’approcher de Dieu (Cf Gn 2,7-9 ; 3, 1-7). Qui n’a pas besoin de ce temps de grâce pour se purifier de ses péchés ?

Dans son message pour le carême 2023, le Pape François nous demande de prendre la route du changement, de la conversion en citant le passage de la Transfiguration du Seigneur. Autrement dit, le Pontife romain nous propose ce temps de carême comme un processus qui aboutira à un véritable metanoia de notre être intérieur. Pour y arriver, le Saint Père nous invite à pratiquer l’ascèse qui est un pieux exercice spirituel ; à faire l’expérience d’une vie partagée et toute donnée ; à faire route ensemble vers le Mont Thabor dans l’esprit du synode afin d’aboutir à une transformation ecclésiale, communautaire et personnelle. Au cours de ce temps de purification, nous prions pour les pays en guerre ; les familles divisées par l’incompatibilité de caractère et parfois éclatées avec le divorce ; pour les enfants crevés par la faim et qui sont souvent mal traités.  A l’instar du psalmiste, redisons au Seigneur « lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense ».

En dernier lieu, nous nous exhortons à pratiquer les piliers du temps de carême : la prière, la pénitence et le partage. Dans notre quête de perfection, chacun de nous se pose un ensemble de questions « Que faire pour bien vivre ce carême ? Qu’est-ce qu’il faut partager ? Comment résister aux tentations ? … ». Il suffit de contempler Jésus dans sa posture, ses gestes et ses paroles en réponse aux trois offres du diable au désert. Contrairement à nos ancêtres Adam et Eve qui ont succombé aux pièges du tentateur, Jésus lui en a résisté parce qu’il prenait parti pour Dieu. Il a fait un choix et il cherchait à rester fidèle à ce choix. Dans la vie, il faut se fixer, il faut choisir. Sous la mouvance de l’Esprit Saint, Jésus se réfère toujours à la Parole de Dieu pour repousser et vaincre les tentations. Se faisant, Jésus nous indique quoi faire à notre tour. Certes, s’il nous arrive d’être succombés puisque nous sommes faibles, le plus important c’est de prendre le chemin du retour en demandant à Dieu de ne pas nous traiter selon nos péchés, selon nos offenses. Demandons-lui de nous prendre en grâce et de nous bénir. Car, là où le péché abonde, la grâce a surabondé. Comme dit le psalmiste, demandons au Seigneur de nous donner la joie d’être sauvé, d’être avec lui dans son paradis, que son esprit nous soutienne. Bon carême et bonne montée vers Pâques !