Marc 1, 12-15

Par Eric de NATTES

 Jésus au désert

Étonnant récit des tentations… où il n’est mis en scène aucune tentation ! Est-ce pour mieux faire marcher l’imagination de chacun ? La projection que chacun peut faire ? Seul face à soi-même, dans un endroit désert, où l’être n’est plus sollicité par mille et une occupations ou distractions ? Que monterait-il alors de chacun de nous ? Joie, tempérance, paix… bref, les fruits de l’Esprit ! Ou tout autre chose… comme envie, démesure, obscénité, aigreur, tristesse, peur… Les pères du désert, en Égypte, avec les récits notamment de St Antoine, nous montrent combien, si nous en doutions, se retrouver seul avec soi-même est une aventure risquée, mais tellement instructive. Ne serait-ce que vivre dans sa chair, dans son âme, ce moment de basculement où l’on ressent au plus profond de soi, la solitude, celle de tout homme, celle qu’il essaie habituellement de ne pas voir. Et que Satan, si nous le prenons selon l’un de ses nombreux titres – le tentateur – est toujours prompt à refaire surface du plus profond de nos obscurités.

Il n’est pas question pour Jésus de commencer sa prédication, son action, sans qu’il connaisse son humanité et ce qui s’y cache. Aussi, après le baptême est-il ‘’chassé’’, ainsi qu’il est réellement dit, par l’Esprit, dans le désert. Qui est-il ? Et voilà qu’apparaît une image tellement évocatrice, dans ce lieu de solitude, à l’écart : il vit entre les bêtes sauvages et les anges. Où est l’humain ? Qu’est-ce que l’humanité, dans cet écart mouvant entre ce qui est sauvage en nous, qui relève de la prédation, de l’instinct, des appétits primitifs (qui est vraiment en chacun de nous : ne pas le voir, c’est se faire illusion et aller vers les déceptions), et les aspirations de l’esprit en nous, au risque de se rêver désincarné : comme un ange ? Faire la bête ou l’ange ; voulant faire l’un, se livrer en réalité à l’autre. L’image a inspiré bien des proverbes.

Mais l’image est, à mon avis, dynamique. L’humain se situe dans une ‘’mesure’’ qui  ne cesse de se chercher. Elle n’est pas donnée à la naissance. Si certaines espèces sortent de l’œuf avec déjà toutes les capacités pour leur vie future (requins, serpents etc…), l’humain, à l’autre bout du spectre du vivant, passe sa vie à conquérir son humanité, à la chercher et à la recevoir. Il meurt en quête de lui-même et de ce qui le rend plus humain. Est-ce pour cela que notre tradition spirituelle nous fait aller au désert, chaque année, durant 40 jours, pour repartir en quête de nous-mêmes ? Mais combien le font vraiment ? Ce que l’humain apprend aussi dans cette image, c’est qu’il ne peut pas être tout. Il ne peut totaliser et la bête et l’ange. Certains si sont essayés et cela a donné les plus grands pervers que nous ayons abrités. Gourous séduisants au grand jour, prédateurs affamés dans l’obscurité.

Jésus doit trouver la mesure, ‘’qui’’ il est lui-même, avant que la Parole qui va sortir de sa bouche soit un ‘’évangile’’, une ‘’bonne nouvelle’’ pour tout homme qui l’écoute et qui peut se laisser transformer par cette parole. Une parole ajustée, vraie, aux multiples résonances. Chacun peut voir, à l’inverse, combien la Parole, dans certaines mouvances du christianisme, dans la bouche de gens assoiffés de pouvoir,  ou simplement aigris, frustrés et donc avides de revanche, de réussite, n’est plus du tout une bonne nouvelle, et fait même franchement peur. Se connaître est donc la condition préalable et voilà pourquoi Jésus est chassé au désert par l’Esprit.

C’est ainsi que ses auditeurs pourront s’étonner : ‘’D’où cela lui vient-il ? Il a autorité, mais non pas comme les scribes !’’

Si la vie publique de Jésus semble bien commencer après l’arrestation de Jean-Baptiste et se placer dans ses pas puisque Jésus demande lui aussi la conversion des personnes, des cœurs, des attitudes, des mentalités, une inflexion très différente est saisie immédiatement : la proximité de Dieu n’a jamais été aussi grande et c’est une bonne nouvelle pour chacun. Vous relirez les traces de la prédication du Baptiste dans d’autres évangiles, il n’en va pas de même de l’annonce du jour de Dieu : jugement, tri et mort. Avec Jésus, Dieu se fait proche, il va même être ‘’en nous’’, et c’est une bonne nouvelle qui illumine et relève.

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