par Eric de NATTES

Matthieu 21, 33-43

Les vignerons homicides

3ème dimanche où nous entendons le Seigneur évoquer la vigne du Père. En ce temps de l’automne, de la rentrée, peut-être est-il bon, tout simplement, de laisser parler en nous cette image. De la laisser porter son fruit.

Une vigne, c’est une multitude de ceps, et pourtant, c’est bien d’une vigne, unique, dont on parle. Magnifique : ‘’mon ami avait une vigne sur un coteau fertile’’ ; on la voit. Chaque cep a-t-il bien conscience de faire partie de cet ensemble ? On n’appelle pas un cep tout seul, une vigne. Chaque cep a sa vie propre et pourtant c’est l’ensemble qui nous constitue comme vigne. Seigneur, l’eucharistie, la messe, c’est bien cela, déjà, le rassemblement des ceps, la multitude qui devient vigne, l’accueil de chaque cep par chacun des autres pour se reconnaître faisant partie d’un ensemble : diversité, unité, fraternité, présence ! Là, en cet instant.

Comme elle est aimée ! Cette vigne. ‘’Le bien-aimé chante à sa vigne’’. Elle ne s’est pas plantée tout seule. Le Père l’a plantée, a retourné la terre, en a retiré les pierres : long temps de gestation pour que l’homme naisse sur notre Terre. Et puis il l’a entourée d’une clôture, bâti une tour de garde et creusé un pressoir. Car il la protège sa vigne, il la couve du regard et la prépare pour le bon vin qui sortira du pressoir. Et moi, est-ce que je sais l’aimer aussi cette vigne, les ceps qui sont avec moi ? Pas seulement attendre que les autres m’aiment, mais que je sache la regarder moi-même avec tendresse. Rien ne grandit bien sans ce regard. N’est-ce pas cela aussi l’eucharistie, la messe : venir me mettre sous ton regard d’amour, soleil qui me fait croître et murir ? Pour à mon tour offrir aussi cette chaleur aux autres.

Car une vigne, on en attend du fruit. Un fruit savoureux qui réjouit le coeur de l’homme : ‘’mon ami en attendait de beaux raisins’’. Cela n’empêche pas qu’il y ait les saisons et l’âge de chaque cep. Le plant tout jeune qui mettra du temps à produire. Celui en pleine maturité qui donne en abondance. Et le vieux plant, dont la quantité est moindre mais le fruit d’une telle qualité qu’on ne l’arrache surtout pas ! Il y a le temps de l’émondage. L’épreuve, la taille, mais pour en sortir plus vigoureux. Le temps des grappes soumises aux aléas climatiques. Et le temps des vendanges, joyeuses et pourtant pénibles. Seigneur, est-ce que je sais regarder le cep que je suis dans ces différents moments. Ne pas désespérer. Je suis en croissance. Et bien sûr, je sais que le fruit sera pressé pour donner le vin savoureux. Mystère de ce vin déjà présent dans le raisin et qui pourtant attend son accomplissement, sa pâques. Le Royaume est déjà là et pourtant à venir. C’est bien aussi cela, l’eucharistie, la messe, le signe du vin, fruit de la vigne et du travail de l’homme qui deviendra le vin du Royaume éternel. Saurai-je le voir avec espérance et reconnaissance ?

Elle est confiée à des vignerons cette vigne. Car si elle a été plantée, il lui faut aussi du soin, beaucoup de soins. Seigneur, en ces temps, mes regards ont été portés vers les vignerons qui ont fait main basse sur ta vigne, parlant et agissant comme s’ils en étaient les propriétaires ; sur ceux qui ont été criminels au sein de cette vigne, à l’encontre de jeunes plants qui leur étaient confiés. Tristesse, amertume, colère, envie de quitter ce coteau fertile devenu pente désolée, où tant de ronces ont poussé, où les brèches sont ouvertes et le sol piétiné. En cet instant, le cœur parfois lourd, saurais-je  pourtant regarder les vignerons fidèles ? Celles et ceux qui accueillent les toutes petites pousses en leur donnant l’eau du baptême ; et ceux qui enracinent les jeunes plants dans le terreau de la foi au caté et à l’aumônerie ; ceux qui célèbrent le temps de la fécondité par le mariage ; ceux qui nourrissent dans la Parole les ceps vigoureux qui donnent leur fruit ; ceux qui accompagnent avec dignité les plants passés au pressoir de la vie, dans le deuil et l’espérance. Mais aussi celles et ceux qui prennent grand soin des plants affaiblis, fragiles, en terre pauvre. Bref, une multitude de bons vignerons. Saurai-je les aimer avec justesse ? Car eux aussi sont des ceps dont il faut prendre soin. Pas des héros, des serviteurs qui ont entendu ton appel.

Seigneur, je prends le temps de contempler ta vigne, magnifique aux couleurs d’automne. Je laisse parler en moi ta Parole devenu image vivante. Ta création, celle que tu nous confies.