Jean 11, 1-45

Pour vivre la soirée de Carême #3 confiné chez soi

Lecture préparatoire

Lazare, l’ami qui était mort

Introduction :

  1. A) Situation/Contexte : Lazare = ‘Dieu aide, Dieu a pitié’. Lien fort entre Jésus et Lazare et ses deux soeurs : « celui que tu aimes», « Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare», Lazare : « notre ami ». Et pourtant première apparition au chapitre 11 de Lazare = c’est une transition entre  ce qu’on appelle « le livre des signes » qui est la 1ère partie de l’évangile selon St Jean (Jésus et le Monde) et la deuxième partie (le livre de la Gloire)  : la passion de Jésus et sa résurrection. Avant et après cet épisode de Lazare, on apprend que la vie de Jésus est désormais menacée.

  1. B) Lieu : Béthanie : Jésus est réfugié (les juifs voulaient le lapider) de l’autre côté du Jourdain (le Béthanie de l’autre côté du Jourdain qui est évoqué en Jn 1,28, là où Jean-Baptiste baptisait). Béthanie, le village de Marthe et Marie est le lieu où Marie (soeur de Lazare) l’oindra, annonçant sa mort prochaine. Deux Béthanie, donc. Voilà comment Jean (l’évangéliste) dit en filigrane que l’enjeu est bien celui d’un baptême mais d’un tout autre ordre que celui de Jean (le baptiste) qui était un baptême de conversion. Ici, il s’agit de glorifier Dieu et de révéler sa puissance. L’épisode de Lazare est bien situé à ce carrefour (lieux symboliques = ces deux lieux qui disent le commencement et la fin, les événements qui font signes, la manifestation de ce qui vient), tout cela comme le signe annonciateur DU signe final = Croix/Résurrection. Nous sommes au centre par ce rappel du baptême de Jean (début de l’évangile) et de l’anticipation de la mort prochaine (Croix) et de sa résurrection : le baptême de Salut de Jésus.

  1. C) La maladie : elle n’est pas précisée mais le terme évoque le manque de vigueur, l’état de faiblesse, le fait d’être sans force. Lazare ne parle jamais, dans tout l’évangile. La demande faite à Jésus dit que l’on sait à qui l’on s’adresse (un ami : celui que tu aimes) et il est Seigneur : lien et autorité. À noter les verbes employés pour dire le lien : celui que tu ‘aimes’ (phileo = amitié) ; Jésus ‘aimait’ Marthe et Marie = agapao (aimer jusqu’au sacrifice de soi, l’amour divin, évangélique, celui de Jésus pour l’humanité). Enfin : maladie destinée à révéler la gloire de Dieu. Lien entre amour et gloire qui est posé. La gloire évoquait une présence majestueuse qui impose le respect et la crainte. La Gloire va désormais être la manifestation de l’amour jusqu’au don de soi. C’est l’amour qui glorifie et non la gloire qui fait aimer. La Gloire de Dieu devient l’autre nom de sa présence aimante jusqu’au bout. « Comme il aimait les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. » Jésus reste donc le temps qu’il faut, à l’écart, pour que le signe se manifeste.

1°) Le déplacement géographique (= le passage/la pâques) : Jean joue admirablement encore sur le sens matériel, géographique et le sens spirituel, symbolique, entre les deux Béthanie. Sur ce trajet, du commencement (Béthanie où Jean baptisait) où Jésus vient de se réfugier pour échapper à la mort par lapidation, vers la fin (Béthanie où Jésus va recevoir l’onction des morts par Marie en anticipation), les disciples vont chuter sur l’ultime obstacle : la mort (c’est le sens de la réplique de Thomas : allons, nous aussi, et mourons avec lui) ! Ils ne savent pas encore qu’il sont accompagnés par « la lumière de la vie », que s’ils sont en Elle (La vie, la lumière de la Vie = Jésus), ils n’ont rien à craindre s’ils ne s’en tiennent pas uniquement à la vision matérielle, biologique. L’Amour n’abandonne pas ceux qu’il aime à la nuit/mort : il part vaincre. Lazare en sommeil/mort, revenu à la vie sera source de foi et de joie pour les disciples. Jésus l’exprime de manière encore incompréhensible pour les disciples : Je suis heureux pour vous ne pas avoir été là, afin que vous croyiez La traversée du Jourdain qu’implique ce déplacement est donc bien symbolique du baptême nouveau (pas seulement de conversion) mais passage (pâques) de la mort/nuit/désespérance à la vie/lumière/foi.

Passage/pâques aussi pour aller d’une vision ‘’mondaine’’ (aller vers le malade par amitié pour le guérir d’une maladie et ainsi empêcher la mort contre laquelle on ne pourra plus rien) à la vision de la foi (au coeur du réel auquel je consens et face auquel je ne peux pas tout – absence de l’ami lors de la mort de son ami -, s’opère la glorification du Père par la confiance du Fils. Les disciples sont appelés à entrer dans la joie du fils, à devenir fils. Thomas, incroyant/mondain, entraine le groupe vers une marche dans la nuit/mort, Jésus conduit le groupe dans la lumière/vie même si c’est au coeur de la nuit/mort selon la logique du monde. Nous retrouvons bien comme pour la Samaritaine et l’Aveugle-né, ces deux sens de la vie : « être en vie » selon la logique du monde et « avoir la vie en soi » selon le don de Dieu auquel il nous faire confiance, adhérer selon la foi pour chasser la peur et reconnaître la source qui jaillit en nous, qui est un don, qui est éternelle et donc déjà présente. Ce qui n’empêche nullement la mort biologique.

2°) Deux déplacements : du deuil/désolation/ténèbres vers la vie/joie/lumière par la parole/présence de Jésus : Marthe et Marie

Marthe : Jésus encore à distance du village/mort, mais déjà, à distance, la présence de la mort se fait déjà sentir. Marthe, au coeur du monde (maladie/mort) a pourtant foi. Elle vient auprès de Jésus lumière/vie entendre sa parole, elle se déplace du lieu de la mort vers Jésus/Vie : elle évoque (reproche ?) que la présence/amitié de Jésus aurait pu empêcher la mort, mais elle reconnaît une proximité de Jésus à Dieu qui rend tout possible. Jésus parle de résurrection : Marthe croit après la mort. Mais croit-elle en la « vie vivante, éternelle » déjà présente en Jésus qui en est la manifestation ? Je suis la résurrection et la Vie… crois-tu cela ? Affirmation « inouïe » au sens le plus profond = jamais entendue et pas croyable ! Impensable, irreprésentable, nettement dans l’ordre de la foi : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (ou : « ne mourra pas pour toujours ou pour l’éternité » qui serait plus proche du  texte grec). Marthe est invitée à passer du « savoir » de la croyance commune en la résurrection des morts à la foi en Jésus : Vie éternelle présente ici et maintenant. Nuit et mort ne sont pas pour toujours même si le croyant les rencontre comme tout homme. Alors la profession de foi de Marthe arrive : Jésus = Christ, Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde.

Marie : Ici, c’est la parole de sa soeur Marthe qui est désormais « pleine » de la parole de Jésus/vie qui déplace Marie de son lieu « mondain » deuil/mort (maison et « consolateurs » sont comme les bandelettes qui la ficelle aussi dans la mort/deuil de son frère) vers Jésus/vie. Ainsi, la parole des disciples (ici Marie désormais croyante) relaie efficacement la parole de Jésus. Car dans le récit, Jésus n’appelle pas directement Marie : c’est bien Marthe qui le fait en son nom mais au style direct. Telle est désormais la force du disciples qui croit en Lui. Même phrase introductive de la part de Marie (reproche ?) Mais sans expression de foi = abattement, mort, deuil aux pieds de Jésus. Elle n’a vraiment pas la « meilleure part » ici, contrairement à l’épisode rapporté en Luc.

Jésus, le combat : lumière/Vie face à la Ténèbre/mort : Les juifs « consolateurs » sont là aussi : la mort/deuil/affliction s’approche au plus près de Jésus comme pour le submerger de sa vague de désolation, comme une contamination de la tristesse/désolation. Jésus frémit (en réalité un « tremblement de colère » = l’expression en grec : celui de Dieu face à l’emprise de la mort sur ceux qu’il aime) et se trouble (perte de la sérénité qui précédait). On retrouve les sentiments de l’agonie à Gethsémanie. Colère, mais amoureuse pour l’humanité soumise à sa loi, de Dieu contre la mort, l’ultime ennemie. Réponse unanime pour indiquer à Jésus le lieu où est Lazare comme  pour mieux faire constater le triomphe de la mort.

Les pleurs de Jésus : On peut faire un contresens ici en faisant glisser Jésus vers une réaction mondaine. Là encore, exemple typiquement johannique de double interprétation d’un signe ! Notons que Jésus n’est pas encore au tombeau en cet instant ! Le verbe pleurer ici en grec n’évoque pas la lamentation, mais seulement verser des larmes ( elles peuvent être de joie = en lien avec ce qu’il a dit aux disciples ? Tristesse = perte/deuil ?). Face au signe, les juifs l’interprètent selon leur propre regard humain/mondain selon leur émotion =  son amitié pour Lazare (verbe philéo et pas agapao), et son impuissance face à la mort (à nouveau frémissement/colère de Jésus) ! Alors, est-ce que ces Larmes sont celles de la tristesse face à la mort, au deuil et à l’impuissance de l’homme face à cet ennemie ? Ou bien celles de la victoire, de la joie confiante de celui qui va vaincre l’ennemie : confirmé par l’exultation de Jésus devant le tombeau : Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé. La joie de l’amour rattrape la désolation de la mort. À noter que Marie ne parle plus jusqu’à la fin. Comprend-elle ? Est-elle alors « passée » dans la joie de Jésus ? Jean laisse chacun à ce qu’il est : Un homme accablé ? Un homme qui a foi et entre dans l’espérance ? Chacun lira le signe selon ce qu’il est en cet instant de la perte, du deuil. Mais aussi du « passage », de la « pâque » qu’il peut accomplir comme Marie, qui devient disciples croyante. Le chemin de la vie est indiqué mais personne ne peut le prendre à la place d’un autre.

3°) Le déplacement de Jésus/Agapê/foi/Vie vers Lazare mort/nuit du tombeau puis de Lazare vivant vers Jésus à l’appel de la Parole/vie/louange

La pierre physique du tombeau, symbole de notre obstacle intérieur « malodorant », notre consentement à la mort/tristesse : sur l’ordre de Jésus, elle est ôtée.

Ici, Jésus apparaît bien comme la lumière au milieu des ténèbres, la vie au milieu de la mort (c’est toujours la prologue qui se manifeste dans l’existence concrète) : Lazare est dans le tombeau, mort, il sent ! Les juifs sont dans l’expectative inquiète ou la joie mauvaise de leur incroyance. Et pourtant Jésus en louant le Père, introduit au coeur des ténèbres la lumière de la foi, du lien, de l’amour vainqueur, de la Gloire du Père qui est Vie et du Fils qui accomplit la volonté du Père. La mort apparaît pourtant en cet instant comme le dernier mot. Mais s’élève alors le chant de la foi/vie = Gloire/Lumière au coeur de la Mort/Ténèbres. Les voilà  au plus près l’un de l’autre. Le chant de louange révèle la présence réelle mais invisible du Père comme en creux (le manque, notre tristesse, le deuil et l’absence). Jésus en appelle à la foi sans preuve : le tombeau est ouvert mais Lazare est à l’intérieur. Pas de preuve de la Gloire de Dieu au moment où celle-ci est chantée. Elle sera seulement un effet : Lazare qui va sortir à l’appel de Jésus. Pas de Gloire qui apparaît si je puis dire ! Juste Lazare qui sort. Mais comme un signe. La Gloire demeure invisible, elle est le soutien de ce monde, de la réalité : vie et mort, passage.

Lazare, l’ami, mais lui aussi fils du Père en Jésus, « sort » = même verbe que pour Marthe qui sort vers Jésus. Lui aussi sort de la mort/Tristesse/ténèbres, comme Marthe est sortie pour aller vers la parole de vie. Lui aussi va être libéré des liens qui le retenaient, comme Marie des lamentations des juifs qui en la « consolant » la ‘ficelait’. Il ne dit rien (ce sont ses soeurs qui sont ses porte-parole dans son humanité malade, pécheresse, mortelle, en désir de la Parole de vie/Amour et qui ont dit tout au long du récit qu’il voudrait la présente auprès de lui, cette parole de vie, cet amour qui ressuscite). Mais au final il écoute la parole de Vie/Guérison/Pardon et sa « sortie » est sa réponse ! Lazare peut être chacun de nous.

Déliez-le et laissez-le aller : formule de libération du péché/mort qui nous ficelle. Jésus s’adresse à tous : Marthe, Marie, les juifs qui sont appelés à mettre en oeuvre concrètement l’effacement des marques de la mort/prison. Invités à libérer la vie de ses entraves chez l’autre, ici Lazare, appelé lui aussi à la vie par la Parole/Lumière exprimée par le Fils qui a foi en la Présence réelle du Père.

La dynamique de la passion/mort/résurrection est désormais en route : il y a ceux qui croient et ceux qui partent dénoncer. Relèvement et chute de beaucoup en Israël. La deuxième partie de l’Évangile selon Saint Jean peut commencer : celle qu’on a appelé : « Le livre de la Gloire » = l’amour qui va jusqu’au bout.

C’est le « Baptême selon Jésus » auquel nous assistons : Pardon/libération du péché afin de vivre et d’être délié pour sortir du tombeau. La vie du Père qui nous enveloppe est agissante (je sais que tu m’écoutes toujours). La voix du Fils nous libère de notre incrédulité et nous appelle à renaître : Lazare : sors ! Elle invite chacun à entrer dans ce mouvement pour son frère : Déliez-le et laissez-le aller.