Par Eric de NATTES

Matthieu 1, 18-25 et Jean 1, 1-18

Veillée de Noël 2019

 Accueillir l’enfant qui n’a pas de place : la vie fragile, naissante, que nous ne regardons qu’à peine… et pourtant l’accueillir chez nous, en soi, lui faire place, écouter ce qu’elle me dit alors qu’elle ne prononce aucun mot, mais qu’elle suscite les miens par sa présence. Et qu’elle appelle surtout mes propres geste de vie.

Face à un enfant : deux gestes qui viennent comme naturellement :

 1°) Se pencher, se mettre à genoux, descendre… pour embrasser, jouer, caresser une joue, dire quelques mots d’amour… Aucune condescendance dans ce geste. Le mouvement de l’amour qui sait d’instinct qu’une vie naissante est fragile, qu’elle ne peut subsister sans protection, qu’elle a besoin de la relation pour grandir. Dans cette relation, ce lien, cet attachement, c’est une alliance qui naît, dont nul ne sait où elle va nous entraîner : c’est le chemin de la vie elle-même.

Dieu ne fait pas autre chose avec nous : il quitte ce Ciel où nous le placions pour venir dans notre condition la plus fragile. Mouvement d’amour, mouvement d’alliance, pour notre vie à nous !

2°) Prendre l’enfant dans ses bras pour l’élever jusqu’à soi. L’enfant porté jusqu’au visage de l’adulte et même sur les épaules de son père. Comme pour lui dire jusqu’où il est appelé à grandir. Là encore, pas d’impatience, mais l’instinct qui montre à la vie naissante le chemin de sa croissance et fait naître l’espérance. Dieu nous hisse jusqu’à Lui : « Le Fils de Dieu s’est fait ce que nous sommes, pour qu’en échange, nous devenions ce qu’il est » dit Saint Irénée.

3°) Les bergers, premiers appelés à reconnaître ce signe. Ils sont les « impurs », près des animaux, mais ils sont les bergers qui savent veiller sur le troupeau et qui savent se réjouir de la vie mise au monde. Alors ils sont appelés les premiers à se réjouir. Ils peuvent encore voir et se réjouir. Le pouvoir, l’argent, la possession n’ont pas encore érodé leur émotion face à la vie qui traverse cet univers, leur capacité à ressentir l’invisible au cœur de la matière. Ils devinent que là est le trésor qu’on ne se donne ni qu’on achète. On ne peut que veiller dessus.

Frères et sœurs : invités à être les bergers les uns des autres, à veiller sur l’enfant du Père qui naît doucement en chacun de nous ! À ne pas être fasciné par Auguste et Quirinius mais à tourner le regard vers l’enfant qui n’a pas de place, au cœur de la nuit. Alors le chant des anges résonnera par nos bouches.

Gloire à Dieu, Paix aux hommes !

 

Jour de Noël 2019

 Richesse : 4 Évangiles pour dire la même intuition, raconter la même expérience, mais chacun dans son langage ! Hier, le récit selon Saint Luc. Une histoire, des personnages, des images fortes… car il y a en nous un enfant qui retient une histoire, là où un enseignement lasse vite. Vient l’adulte qui, peu à peu, creuse le récit, en comprend les images, les références qui font sens dans une culture etc… Aujourd’hui, ni anges ni bergers, pas de jeune vierge ni de récit de l’enfance, aucun songe, mais une méditation profonde. Il faut laisser les mots résonner, les images venir, le sens apparaître. Je vous propose trois ‘’éclairages’’ sur ce prologue qui nous parle de lumière et de ténèbres, de la Vie qui s’est faite Parole et chair, et visage… Car c’est bien toute la tradition selon Jean qui tente d’éclairer cette question universelle : qu’est-ce qu’être vivant ? Puisqu’avoir la Vie, être pleinement vivant, avoir la Vie en plénitude, la Vie éternelle, est le propre du Père et du Fils nous dit Jean.

La vie qui est l’absolue valeur, elle sans laquelle rien ne peut être. Elle qui se reçoit. Alors comment avoir la Vie, en soi, en plénitude, et non pas seulement être en vie.

« Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. »

C’est un évangéliste qui nous le dit : Dieu, personne ne l’a jamais vu ! Il faut que nous nous en souvenions toujours. Celui qui vous parle de Dieu, par quelle autorité en parle-t-il ? Puisque comme vous, comme moi, il ne l’a jamais vu. Qui sait ce que pourrait être la vie en plénitude, la vie en Dieu ?  Dieu est la quête de l’homme. Saint Jean s’explique donc dès le début de Son Évangile. S’il nous parle de Dieu, c’est par l’autorité de Jésus. Ce qu’il a vu faire à cet homme. Ce qu’il a entendu dire à cet homme lui permet de comprendre que Dieu a visité l’humanité. Qu’à la question quasi enfantine : si Dieu était parmi nous que ferait-il, que dirait-il ? Jean peut désormais répondre : il ferait et dirait ce que dit et fait Jésus. Si la Vie pouvait prendre notre forme que serait-elle : « Jésus ». Jésus : manifestation de la Vie elle-même pour les humains que nous sommes. Jean rend témoignage pour que nous ayons foi, nous aussi, et qu’ayant foi, la Vie nous soit donnée.

Permets Seigneur Dieu, que je ne parle jamais de Toi autrement que par l’Évangile, que par l’autorité de Jésus.

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire. »

Lorsqu’on donne à l’homme les moyens d’affirmer sa vie, il le fait souvent sur le registre du pouvoir, de l’extension, de la domination, du grand qui peut se mesurer à l’aune d’une échelle mathématique (plus riche que, plus fort que…) Sachant que sa vie est éphémère, il veut s’installer en grand dans ce monde (palais, territoires, richesses accumulées…) et il veut que ses œuvres lui subsistent (la monarchie vivra toujours disait Louis XIV…) : espace et temps ! Et il voudrait que chacun le reconnaisse forcément et s’en persuade (domination), laisser sa trace.

Le mouvement de la Vie, de Dieu lui-même est ce que l’homme ne fait pas d’instinct, et peut-être ne sait pas faire. L’éternel, l’infini, le non mesurable (la Vie en soi, la Vie elle-même) nous ne savons comment dire, se laisse circonscrire dans le petit, dans une forme passagère, dans le tout-petit : cet enfant-là, cet homme-là, à ce moment-là de l’histoire, dans ce lieu-là de l’univers. Et chacun doit faire un pas, doit réfléchir, doit méditer, pour avoir foi. Ça ne s’impose pas, cela se reçoit peu à peu ou comme une fulgurance, d’un coup.

Je te loue, je chante ta louange Seigneur, Toi le Dieu qui ne t’est pas laissé enfermer dans le plus grand, mais qui t’est laissé contenir par le plus petit, car tu es amour.

Beaucoup rêvent d’accomplir de grandes choses mais avec un cœur si racorni, un esprit si étroit, qu’ils deviennent si vite ridicules parce qu’ils se donnent en spectacle.

Et il y a ceux, tous ceux, la multitude de ceux qui font les petites choses avec un cœur immense, contenant tout l’amour qui en eux. Ils ont compris que la vie est faite pour se donner. Ceux-là sont témoins de Dieu. Ils sont témoins de la Lumière comme le dit St Jean.

Merci Seigneur de me détourner d’être un « songe creux ». De ceux qui se donnent des allures de profondeur pour chercher Dieu toujours ailleurs, toujours dans le plus grand. Mets en moi la joie de te découvrir dans la vie elle-même.

« Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. »

Frères et sœurs beaucoup d’entre vous ont préparé au mieux les festivités pour que les convives soient heureux autour de la table. Et c’est bien, c’est bon. Dieu nous convie maintenant au signe si humble de sa table : ce pain et ce vin partagés pour dire que nous sommes de sa famille. De la famille de Dieu. Ses enfants chéris.

Vous savez bien que les mets les plus délicieux et les demeures les plus fastueuses ne remplaceront jamais un invisible, une lumière précisément qui est communion entre les convives. Le festin de la table ne sera rien s’il n’est pas le festin de la vie, si nos cœurs ne sont offerts et nos vies données comme un bon pain. Soyez joyeux d’être aujourd’hui les bergers de la vie qui nous est confiée.

Que serait le partage de la nourriture sans celui de la parole et de nos vies ?