Par Eric de NATTES

Matthieu 5, 1-12a

Béatitudes

Pas de description de Jésus dans nos quatre évangiles ! C’est frustrant. On aimerait savoir. Si le suaire fascine autant, c’est peut-être parce qu’il livre la trace d’un visage, d’un corps.

Mais nous avons les Béatitudes. Le miséricordieux, le juste, le doux, le pacifique celui qui s’est fait pauvre de tout par amour, celui qui a pleuré sur Jérusalem, qui cela pourrait-il bien être si n’est Jésus lui-même. Lui qui n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu, lui qui a refusé jusqu’au bout de répondre à la violence par la violence, lui qui est venu pour sauver le monde et non le condamner, selon la justice venue du Père lui-même, lui qui a salué les disciples après sa résurrection en leur donnant sa paix, lui qui n’a revendiqué aucun royaume, aucune terre pour mieux prêcher et vivre la proximité du Royaume qui est en chacun de nous… Oui, les Béatitudes sont bien comme le portrait du Christ pour qui veut bien les ruminer, les savourer, les contempler, s’en nourrir.

 

Les Béatitudes rassemblent certains des titres souvent donnés à Dieu dans les trois monothéismes : Le Juste, Le Miséricordieux etc Mais à travers chacune des Béatitudes, nous, lecteurs des Évangiles, nous voyons telle scène entre Jésus et certains de ses contemporains. N’a-t-il pas manifesté la miséricorde à la femme adultère comme à Zachée, à l’aveugle de naissance ou aux dix lépreux ? N’a-t-il pas manifesté la justice en guérissant le jour du Sabbat, en allant prendre son repas chez les publicains et les pécheurs, ou encore en pardonnant à la prostituée qui lui oignait les pieds, révélant combien elle aimait par-delà les apparences ? Mais aussi en disant à des pharisiens, des docteurs de la loi ou des Grands-Prêtres, la fermeture de leur cœur, la stérilité de leur savoir, l’hypocrisie de leur pratique ? N’a-t-il pas pleuré sur Jérusalem qui tuait les prophètes au lieu de les écouter ? Mais aussi avec les sœurs et les proches de Lazare bouleversés par le deuil, attendant lui aussi la consolation des coeurs brisés ? N’a-t-il pas montré la douceur lorsque la violence s’est déchaîné contre lui ? Lui qui a transformé le mal qui l’agressait en pure douleur, alors que nous faisons bien souvent malheureusement de la douleur que nous vivons un mal pour nous-même et les autres. N’a-t-il pas enfin su ce que c’était que perdre la face, et être insulté ou calomnié par témoignage pour un autre : son Père ?

 

Alors lorsque Jésus proclame « Bienheureux » celles et ceux qui suivront cette voie, il nous parle de la gravité du bonheur, de sa profondeur, de son exigence, de l’engagement de toute l’existence qu’il implique, et du poids du jour qu’il fait porter. Regardons l’une ou l’autre de ces Béatitudes :

 

Seigneur, je suis parfois si violent (dans mes propos, mes actions, mes relations) ! Et je Te contemple dans les Béatitudes. Heureux les doux : Sois sans crainte, me dis-tu, si on t’a fait du mal, si on t’a brutalisé, Moi je ne t’en ferai pas, je ne répondrai pas au mal par le mal avec toi, fais-moi confiance. Mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. Ah ? Alors Seigneur je peux te faire confiance et m’approcher de Toi ? Tu resteras doux et humble de cœur malgré ma violence à moi ? Tu ne répondras pas Toi, à ma violence, par la violence ? Tu n’es pas en danger d’être contaminé par ma violence. Et c’est au contraire ta douceur qui peut m’envahir si je m’approche de Toi. Tu es le Dieu qui vient sauver et non perdre. Heureux les doux : Tu m’invites à voir que Ta justice, si elle est vérité, si elle révèle le chemin de mort de violents, elle n’est pas d’entrer dans le cycle infernal de la revanche, car alors je deviens semblable à eux. Je dois garder l’instinct de Dieu dans le mal, dans le malheur. Il y a donc une terre promise qui ne se gagne pas avec le sang et les larmes des victimes, avec la cruauté des armes. Cette terre promise qui est le Royaume en germe en chacun. Terre qui peut grandir en moi et devenir mon refuge en lequel d’autres pourront venir s’abriter. Apprends-moi, Seigneur !

 

« Je ne pardonnerai jamais le mal qu’on m’a fait » ! M’arrive-t-il de penser. Et je Te contemple dans les Béatitudes. Heureux les miséricordieux ! Miséri-corde : ma misère dans ton cœur ! Est-ce vrai Seigneur ? TOUTE ma misère, vraiment toute, je peux la planter là, dans Ton cœur sans que Tu sois submergé. Et si ma misère c’est de T’avoir trahi, humilié en me moquant de Toi devant les autres, d’avoir douté que Tu m’aimais, de ne t’appeler à l’aide que lorsque je ne vais pas bien et de T’oublier le reste du temps ? « Heureux les miséricordieux ». Tu m’invites à me regarder avec miséricorde. A abandonner le regard accusateur de Satan, celui qui me rend coupable, tout le temps, de tout. Tu m’invites à me regarder dans ma totalité, à me connaître tel que Tu me connais, à percevoir dans ma violence tout ce qu’il y a de déceptions, d’amour trompé et trahi, de désespoir que ce monde ne soit jamais à la hauteur de mes espérances. Mais si la miséricorde pénètre en mon cœur, comment pourrais-je alors être l’accusateur de mon frère dans sa propre violence ? Elle me blesse et me tue, et pourtant je commence à entrevoir un pardon possible. Je suis là au pied de la Croix. Et je contemple.

 

Frères et Sœurs, chacun, chacune pourra faire sa propre méditation de chaque Béatitude. Manière de contempler le portrait de Jésus et de me laisser transformer par ce que je contemple et médite en mon cœur.

Et de rendre grâce au maître des Béatitudes mais aussi peut-être à tel ou telle des saint(e)s que nous avons pu croiser autour de nous : justice et combat du juste, douceur et paix d’un cœur pur qui n’a pas voulu se rassasier du mal mais simplement le combattre avec les armes de l’Evangile.

 

Les Béatitudes sont pour nous, par ce visage dessiné du Dieu fait homme, de l’homme réconcilié avec son Dieu, de l’homme véritable, et du Dieu Saint, un appel une aspiration, sur le chemin de la sainteté. Pas d’une perfection abstraite et sans signification, comme on regarde encore parfois la sainteté. Non, comme l’appel à la vie véritable, à être debout. Pas dans une survie qui ne cherche qu’à se préserver ou à affirmer son ego. Dans une vie qui sait pourquoi elle se donne.