Par Jean-Claude SERVANTON

Luc 9, 51-62

Dans l’Evangile de Luc que nous lisons au cours de cette année liturgique, Jésus aujourd’hui est à un tournant de sa vie, à un moment décisif : « le visage déterminé, Jésus prit la route de Jérusalem. » Il ne reviendra pas en arrière, il entame cette montée à Jérusalem qui le conduira jusqu’à la croix. Pour nous, il n’y a pas là qu’un moment historique mais aussi un visage du Christ à découvrir. Jésus est un homme libre et pas seulement un homme libre comme un modèle mais libre pour nous libérer, nous rendre plus libre.

Nous savons qu’il est difficile de définir la liberté. Les philosophes ont écrit des livres. Heureusement nous connaissons des hommes et des femmes qui nous paraissent plus libres que les autres. Ils ont leur franc-parler, ils accordent leurs actes à leurs paroles. Dans le Missel du dimanche, Michel de Certeau, un écrivain jésuite, essaie de définir ce qu’est un religieux. Pour cela, il compare le religieux à un poète. Le vrai poète n’écrit pas pour avoir un public ni à cause des ventes que lui vaudra, peut-être, son livre. Il joue avec les mots par nécessité parce qu’il ne peut pas faire autrement. Plus près de nous, car nous ne connaissons pas tous les poètes mais nous pouvons côtoyer une mère de famille qui passe tout son temps à prendre soin de ses enfants. Elle n’a pas une minute pour elle. Après l’un, elle enchaîne avec l’autre. Elle écoute patiente, reprend, essaie de comprendre. Comme le poète, elle aussi, elle ne peut pas faire autrement. L’artisan qui ne travaille pas que pour l’argent, se bat avec le bois, le fer ou la pierre pour que l’objet utile soit beau, lui aussi ne pas faire autrement. D’une autre ou d’un autre, on dira qu’il a le cœur sur la main, toujours disponible, heureux de rendre service, elle ou il ne peut faire autrement. Le poète, la mère de famille, l’artisan, l’homme ou la femme de cœur, tous ces gens qui ne peuvent pas faire autrement en sont-ils moins libres que les autres ?

Ils nous approchent de Jésus, de lui aussi, on pouvait dire « il ne peut pas faire autrement ». Il prend la route de Jérusalem, une route au cours de laquelle il va essuyer un refus. Un refus dès le début qui annonce celui de l’arrivée. Une route avec des compagnons prompts à faire tomber le feu du ciel pour détruire les opposants. Jésus doit les réprimander, il n’est pas venu pour détruire mais pour donner la vie. Jésus ne s’arrête pas en route. Il ne peut faire autrement, mais on connaît la raison : sa volonté est accordée à celle de son Père : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté mais celle de mon Père ». C’est la source de sa volonté, de sa vocation. L’évangéliste note qu’il prend la route de Jérusalem, le visage déterminé. C’est sans doute au bout de la route, au matin de Pâques, que les disciples comprendront qu’Il ne pouvait pas faire autrement. C’est alors qu’Il leur ouvre l’esprit à l’intelligence de l’Ecriture. C’était sa vie de vivre et de mourir comme serviteur.

La vie de Jésus est ordonnée autour d’un axe, l’amour de son Père… Libre à l’égard de tous, pour nous partager la liberté de Dieu. Pour les disciples, pour le suivre tout s’ordonne autour du même axe : la volonté d’un Dieu qui nous veut libres en faisant sa volonté. Les choses matérielles ont de l’importance, avoir un toit, un nid, une maison est indispensable mais la vie n’est pas donnée seulement pour les acquérir. La mère de famille aime sa maison mais c’est pour y vivre avec les siens. Enterrer les siens, faire des adieux aux gens de sa maison est un devoir, mais la vie continue. Et là, Jésus croise notre route et nous invite encore à le suivre… Sommes-nous déterminés ?